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LA MINE D’OR.

— Voilà qui est inconcevable ! Ce que Martin-Simon avait à me dire ne devait s’adresser qu’à moi.

— Je vous assure que le secret qu’il doit me communiquer est destiné à moi seul.

Un moment de silence suivit cette explication.

— On nous trompe, chevalier, dit Michelot avec agitation, et si vous vouliez me dire ce que notre hôte a promis de vous révéler ici…

— Que ne me dites-vous d’abord le motif qui vous amène dans cette grotte ?

— Il faut pourtant, reprit Michelot avec hésitation, que l’un de nous parle le premier. Eh bien ! j’avouerai que Martin-Simon doit me montrer… une mine d’or.

— Une mine d’or ! répéta Marcellin les yeux étincelans ; mais il m’a fait la même promesse, et je ne veux pas de partage !

— Vous m’avez prévenu ; je saurai maintenir mes droits ; je n’entends pas avoir d’autres associés que ceux que je pourrais m’adjoindre moi-même !

— Nous verrons bien qui l’emportera… Je suis parent du bailli, et je n’ai consenti au mariage de ce matin que sur l’assurance formelle…

— Cet homme ne m’est rien ; mais je possède des actes capables de le déshonorer et peut-être de le faire pendre, car la déposition de ce niais de maître d’école et de ce vieux frocard n’auraient pas grande autorité devant les juges… J’ai promis de rendre ces actes dès que j’aurai vu la mine.

— J’espère cependant, monsieur, reprit le chevalier avec hauteur, que vous n’essayerez pas de forcer la volonté de Martin-Simon, mon parent, mon hôte et mon ami ?

— Il ne sera pas prudent de l’empêcher de tenir la parole qu’il m’a donnée ! répliqua le procureur d’un ton farouche. — Tous les deux pressèrent convulsivement leur pistolet, dont ils ne s’étaient pas dessaisis, et se mesurèrent du regard. — Peut-être, dit enfin Michelot avec un sourire ironique, monsieur le chevalier, en se munissant de pareilles armes, n’avait-il pas l’intention d’accepter un partage, même avec son bien-aimé parent ?

— J’avais conçu un soupçon du même genre en voyant un pistolet entre les mains d’un procureur.

Nul ne sait comment se fût terminée cette scène, si en ce moment un bruit de pas ne se fût fait entendre près de l’entrée de la grotte.

— Le voici enfin, dit Peyras d’une voix sombre ; il faudra bien qu’il se prononce entre nous deux !

Ils cachèrent leurs armes et s’avancèrent au-devant de celui qu’ils prenaient pour Martin-Simon ; mais ils se hourlèrent contre deux nouveaux personnages qui entraient en courant dans la grotte, le maître d’école et le prieur des hospitaliers du Lautaret.

On s’observait avidement ; les arrivans semblaient aussi surpris qu’irrités ; Peyras et Michelot laissèrent échapper des imprécations et des blasphèmes.

— Ces deux hommes viennent ici dans le même but que nous ! s’écria le procureur avec rage ; Martin-Simon nous a tous trompés ! Il nous a promis à tous un trésor qu’il veut sans doute garder pour lui seul.

— Le croyez-vous, monsieur, le croyez-vous ? demanda Eusèbe Noël en cédant à cette distraction qui pour être affectée quelquefois n’était pas moins le fond même de son caractère ; serait-il possible qu’après avoir attendu vingt ans l’occasion favorable que j’ai trouvée ce matin, Martin-Simon me refusât la récompense qui m’est due ?… J’ai tout bravé pour lui, mais…

— Eh ! comment eussiez-vous été capable d’un pareil dévouement, interrompit le prieur, si je n’avais été là pour vous encourager, pour vous soutenir de mon témoignage ? Que Martin-Simon ne tienne pas sa parole, ce n’est pas pour moi que je me plaindrai, car j’ai fait vœu de pauvreté, et tout l’or de la terre ne pourrait changer le sort d’un humble religieux ; mais je regretterai pour notre pieuse maison, pour l’œuvre bienfaisante dont nous sommes les ministres…

Michelot fit un signe d’intelligence à Peyras, comme pour l’engager à se liguer avec lui contre les nouveaux venus.

— Au diable les moines hypocrites ! dit-il avec brutalité ; allons, mon révérend père, assez de sermons comme cela ; montrez-nous les talons bien vite, et dites à votre couvent de prendre patience… Quant à vous, monsieur le magister, continua-t-il en se tournant vers Eusèbe Noël, souvenez-vous que votre déclaration de ce matin a été faite devant un grand nombre de témoins, et que vous devriez songer à votre sûreté. Il serait prudent de passer la frontière, si vous ne voulez être pendu seul, ou peut-être pendu de compagnie avec votre ami le roi du Pelvoux, dans le cas où, comme je le pense, ce serait lui qui vous aurait poussé à ce crime.

— Je braverai tout ! s’écria le maître d’école avec une véhémence qui tenait du délire ; je suis né sur un misérable grabat, j’ai vécu dans la pauvreté et la dépendance… j’ai passé ma vie à attendre le moment où je pourrais devenir riche, où j’aurais de l’or autant que j’en voudrais. Depuis quinze ans, j’ai cherché, par toutes sortes de ruses, à pénétrer le secret de Martin-Simon, pendant que je vivais de sa charité. Je suis las de mes vêtemens usés, de la pitié que j’inspire, de la place qu’on m’accorde avec dédain à une table étrangère… je veux faire envie à mon tour ! Que je voie cette mine d’or, que je la possède un instant, un seul, et je serai content ! Oui, Martin-Simon tiendra sa promesse, ou je me rétracterai, dussé-je mentir, dussé-je me parjurer !

— Je ne saurais approuver, dit le moine, ni le mensonge ni le parjure, mais je saurai punir la ruse indigne dont on s’est servi pour nous tromper.

— Assez de bavardage ! s’écria Michelot ; sortez d’ici à l’instant.

— Oui, sortez ! sortez ! répéta Peyras.

Et, par un arrangement tacite, ils montrèrent à la fois leurs armes à feu ; mais ni le maître d’école ni le religieux ne se laissèrent effrayer de cette démonstration menaçante, comme leur caractère bien connu de timidité pouvait le faire supposer.

— Approchez ! dit Eusèbe en se mettant à couvert derrière un bloc de granit tombé de la voûte et en brandissant un couteau.

— Puisqu’il le faut, dit le moine en ramassant résolument le bâton ferré que Marcellin avait jeté en entrant dans la grotte, j’essayerai de me servir d’armes temporelles.

Et il brandit au-dessus de sa tête l’espèce d’épieu dont il s’était emparé.

Un silence farouche régna tout à coup ; on se regardait avec des yeux étincelans, on se défiait du geste… Un bruyant éclat de rire retentit derrière eux. Tout le monde se retourna, et l’on aperçut Martin-Simon.

À merveille ! messieurs, à merveille s’écria le roi du Pelvoux avec un accent de raillerie ; vraiment, la plus touchante harmonie règne entre vous, et vous cherchez à vous rendre dignes des trésors que vous allez posséder !

— Que signifie cette plaisanterie ? demanda le chevalier, qui était le plus fougueux de tous ; il n’y a dans tout ceci qu’un malentendu, car mon parent sans doute y regarderait à deux fois avant de se jouer d’une parole donnée à un gentilhomme ?

— Comment donc ! chevalier, répondit Marlin-Simon en affectant un air de gravité ; je sais trop bien ce que je dois d’égards à un gentilhomme si loyal et si franc, pour avoir seulement la pensée de lui manquer de parole.

Peyras, aveuglé par la passion, ne comprit pas l’ironie ; une expression de triomphe se peignit sur ses traits ; ses rivaux parurent consternés et indignés.

— Vous m’aviez fait la même promesse ! s’écria Michelot.