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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

— Nous l’avions reçue, le prieur et moi, avant tous les autres, dit Eusèbe Noël.

— Allons ! débarrassons-nous de ces importuns ! reprit Marcellin en s’adressant à Martin-Simon ; je les traiterai suivant leurs mérites.

Les autres se mirent de nouveau sur la défensive ; le roi du Pelvoux s’interposa d’un air d’autorité.

— Un moment, messieurs, dit-il avec la même gravité qu’auparavant : je vous dois quelques mots d’explication. Vous m’avez manifesté tous le même désir, celui de voir la mine d’or d’où est sortie ma fortune, et vous m’avez placé, soit par un moyen, soit par un autre, dans la nécessité de vous révéler mon secret. Si j’avais dû faire un choix entre vous, donner la préférence à l’un au préjudice des autres, j’aurais pu me trouver fort embarrassé. Quel mauvais choix eût été possible entre un procureur faussaire et un moine hypocrite, un libertin dissipateur ou un vieux cuistre avare ? Le cas était embarrassant, vous en conviendrez. Aussi, pour trancher la difficulté, j’ai décidé que je vous satisferais tous, et je ne me rétracte pas.

Les auditeurs se regardèrent ébahis.

— Vous nous avez trompés ! s’écria une voix.

— Je ne vous ai pas trompés ; que chacun de vous se rappelle les termes dont je me suis servi, il y a quelques heures ; je me suis engagé à lui montrer cette mine précieuse, mais je ne me suis pas engagé à ne la montrer qu’à lui… Si je veux confier ce secret à quatre personnes, n’en suis-je pas le maître ?

Cet argument était sans réplique, car aucun des assistans ne pouvait affirmer que Martin-Simon lui eût fait une promesse exclusive. Ils se mordaient les lèvres et donnaient les signes d’un cruel désappointement.

— Eh bien ! dit enfin le père hospitalier, qui semblait le moins avide, peut-être parce qu’il défendait seulement les intérêt de son couvent, nous ne sommes que quatre, et si réellement le filon était aussi riche qu’on le dit, il pourrait encore nous rendre tous opulens.

— Oui, répliqua Michelot en tirant lestement de sa poche un écritoire, et, puisqu’il faut nous résigner au partage, nous allons dresser séance tenante un petit acte dont je resterai dépositaire.

— J’y consens, dit le chevalier impétueusement ; mais je veux la moitié de la mine à moi seul.

— Et moi je veux mon quart tout entier ! s’écria le maître d’école. Ne vous pressez pas tant, messieurs, reprit Martin-Simon ; vous courriez risque d’avoir à recommencer le partage si tous ceux qui doivent y prétendre n’étaient pas présens… Heureusement vous n’aurez pas à attendre, car les voici.

En effet, douze ou quinze montagnards, des principaux habitans du Bout-du-Monde, parurent à l’entrée de la grotte, conduits par Marguerite et le bonhomme Jean.

Leur présence accrut encore l’indignation des premiers co-partageans de la mine d’or ; mais Martin Simon, sans s’inquiéter d’eux davantage, s’avança vers les villageois, qui hésitaient à entrer dans la grotte, ne sachant de quoi il s’agissait.

— Mes amis, leur dit-il avec sa bienveillance ordinaire, je vous ai réunis en cet endroit pour vous révéler un secret qui me pèse et trouble mon repos. Vous avez soupçonné depuis longtemps l’origine réelle de cette grande fortune dont je paraissais si peu soucieux ; je reconnais enfin que vous avez deviné la vérité… Oui, mes amis, feu mon père, celui que l’on nommait l’Esprit de la Montagne, avait découvert, lorsqu’il errait sombre et désespéré dans ces solitudes, un filon d’or, dont il me révéla l’existence peu d’instans avant de mourir… C’est de cette mine qu’est sortie ma richesse. Tant que je l’ai pu, j’ai gardé le secret et j’ai dispensé de mon mieux à tous les infortunés qui m’approchaient ces biens dont je me considérais seulement comme le dépositaire. Aujourd’hui que votre tranquillité est assurée, il est temps peut-être que je songe à la mienne. Vous avez entendu ce matin les odieuses accutions élevées contre moi ; je désire me soustraire à ces intrigues qui finiraient par m’accabler, et j’ai résolu de couper le mal dans sa racine. Si je me contentais de nier désormais, comme je l’ai fait jusqu’ici, que ce pays recèle un pareil trésor, on ne me croirait pas, on continuerait à me tendre des piéges ; je veux donc que vous connaissiez tous l’endroit où se trouve cette mine, que vous ayez tous autant de droits sur elle que j’en ai eu par le passé… Plus cet or aura de maîtres, moins il sera dangereux !

Un léger murmure courut dans l’auditoire : les montagnards, malgré la simplicité de leurs goûts et de leurs mœurs, furent vivement impressionnés de cette étrange nouvelle ; leurs yeux s’enflammèrent, et plusieurs d’entre eux donnèrent les signes d’une joie immodérée. Cette circonstance n’échappa pas à Marguerite.

— Vous le voyez, dit-elle tristement à Martin-Simon, eux aussi, eux si bons, si laborieux, si sobres, ils perdent la tête comme les autres ! Vous seul, mon père, étiez assez fort, assez généreux, pour accomplir cette grande œuvre de dévouement.

Martin-Simon soupira.

— Allons, mes amis, reprit-il à voix haute, et vous tous tant que vous êtes ici qui désirez avoir part à cet or, suivez-moi… Le jour baisse, et nous n’avons que le temps rigoureusement nécessaire pour arriver à la mine.

— Maître, demandèrent quelques-uns des assistans, où donc nous conduisez-vous ?

— Là, sur le Follet, dit Martin-Simon en désignant la montagne escarpée qui s’élevait de l’autre côté du vallon ; le filon d’or se trouve au-dessous du glacier, près de ce pic dont la base s’appuie sur les roches mobiles.

— Partons, s’écria-t-on de toutes parts.

Et on se dirigea en désordre vers la vallée.

— Cette montagne est bien élevée et bien raide, dit le procureur timidement.

— Je l’ai pourtant gravie, répliqua le roi du Pelvoux, dans des momens et des saisons moins favorables que ceux où nous sommes ; je l’ai gravi la nuit, par des temps d’orage, quand il était imprudent, pour ne pas dire téméraire, de s’aventurer sur les hauteurs… Oui, et ma pauvre Margot que voilà m’a attendu plus d’une fois pendant de longues heures dans cette grotte, désespérant de me revoir jamais ! Allez, cet or que je dépensais si vite était trempé de mes sueurs !

— Ces gens arriveront avant nous dit le chevalier en désignant les montagnards qui étaient déjà loin. On doubla le pas, sans pour cela interrompre la conversation. Martin-Simon ne semblait plus se souvenir des motifs de haine qu’il avait contre les assistans, et il répondait avec sa bonhomie accoutumée à leurs observations.

— Mais, monsieur, demandait le prieur du Lautaret, qui avait relevé sa robe dans une de ses poches et qui marchait gaillardement à côté du roi du Pelvoux, comment aucun des gens du village ne vous a-t-il vu rôder de ce côté ? Il devait être bien difficile de cacher longtemps un pareil secret !

— D’abord mes voyages à la mine n’avaient lieu que la nuit, et ce canton ne produisant ni bois ni fourrage, n’est pas fréquenté par les habitans du Bout-du-Monde. Et puis qui vous dit que je n’aie pas été aperçu bien des fois quand j’allais et je venais dans ces parages ? seulement le pâtre simple et grossier devant qui je passais ne pouvait deviner ce que j’y venais faire ; il m’accusait de sorcellerie et c’était tout. Cependant, voici maître Eusèhe Noël qui, un jour, pensa me surprendre, lorsqu’il monta sur le Follet par distraction, comme on le crut alors, mais en réalité, j’imagine, pour épier mes démarches…

— Hélas je n’aperçus rien qui pût exciter mes soupçons, dit piteusement le maître d’école.

— Vous passâtes si près de la mine que je crus un moment que vous alliez la découvrir. Heureusement le