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LA MINE D’OR.

brouillard des montagnes avait obscurci vos besicles ce jour-là, mon pauvre vieux pédagogue !

On était arrivé au pied du Follet, et on voyait déjà les montagnards grimper avec agilité le long de ses flancs. Quelques pierres qui se détachaient sous leurs pas venaient même rouler jusqu’aux retardataires. Marguerite s’arrêta et tira son père à l’écart.

— Toutes les précautions sont-elles bien prises, et aucun accident n’est-il possible ? murmura-t-elle.

— Oui, et n’oublie pas de te retirer dans la grotte dès que je donnerai le signal.

— J’y serai, mais, je vous en supplie, songez aussi à votre sûreté.

Après avoir échangé ces paroles mystérieusés, Martin-Simon rejoignit ses compagnons, et Marguerite s’assit pensive sur une roche.

XV

LE TRÉSOR.


L’ascension du mont Follet était beaucoup moins pénible et moins périlleuse qu’on ne le supposait d’en bas, grâce aux blocs superposés qui, s’élevant sans interruption de la base au sommet, formaient un escalier gigantesque. Les voyageurs crurent aussi remarquer plus d’une fois sur le roc des traces de travail, comme si l’on eût voulu indiquer grossièrement des degrés ; mais ces marches étaient si peu apparentes qu’on eût pu les prendre pour l’ouvrage de la nature. Martin-Simon semblait connaître parfaitement les endroits où il devait poser le pied le plus sûrement : il montait les pentes avec une aisance, une facilité qui étonnaient les montagnards eux-mêmes. Il n’en était pas tout à fait ainsi du chevalier et de Michelot, ni même du moine et du maître d’école, plus habitués que les deux citadins à de pareilles excursions. Ils hésitaient souvent, s’arrêtaient pour respirer, et restaient en arrière du gros de la troupe. Mais la cupidité leur rendait aussitôt des forces, et, haletans, couverts de sueur, ils se remettaient à gravir le versant avec courage.

On monta pendant une heure environ ; les moins alertes étaient encore assez loin du terme de leurs fatigues, lorsque des cris bruyans, répercutés d’échosen échos, annoncèrent l’arrivée de quelques jeunes gens au sommet tant désiré. Leur succès piqua d’émulation les pauvres traînards ; on redoubla d’efforts, et bientôt toute la troupe se trouva réunie autour de Martin-Simon, sur une espèce de plateau irrégulier d’où l’on dominait un immense horizon.

La montagne du Follet, vue à cette hauteur, présentait un aspect effrayant. Toutes les faces en étaient lisses, escarpées, presque perpendiculaires, et le chemin que les voyageurs venaient de suivre leur semblait si périlleux qu’ils se demandaient déjà comment ils allaient se hasarder à descendre. Ils se voyaient au point culminant d’un cône immense qui n’avait point d’égal dans tous les pics environnans, et qui n’avait de supérieur que le Pelvoux son voisin, dont les rdeoutables glaciers l’étreignaient déjà par la cime. Il y avait de quoi donner le vertige, si la pensée que cet affreux désert recêlait une mine d’or n’eût préoccupé tous les esprits.

Aussi laissa-t-on à peine une minute aux retardataires pour respirer, et plusieurs voix demandèrent avec impatience à Martin-Simon :

— La mine d’or ! montrez-nous la mine d’or !

— Volontiers, mes amis, dit le père de Marguerite avec sérénité, en s’avançant vers l’endroit où le mont Follet s’attachait au Pelvoux.

— Ainsi donc, reprit avec chagrin le chevalier, qui le suivait pas à pas, ce trésor est enfoui dans ce lieu inaccessible ? J’espérais…

— Vous espériez que l’exploitation en serait plus facile, n’est-ce pas ? dit Martin-Simon avec amertume ; mais qu’y faire, mon cher parent ? Ceux qui pourront venir plus tard chercher ici de l’or emploieront, s’ils le veulent, les mêmes moyens que moi… Je remplissais de minerai de grands sacs, que j’abandonnais sur penchant de la montagne après les avoir bien fermés ; la nuit je venais enlever ces sacs et je les emportais au village ; alors je faisais le départ du métal par les procédés que mon père, habile métallurgiste, m’avait montrés ; un caveau de ma maison, dont ce misérable Raboisson découvrit l’existence, me servait de laboratoire ; et de temps en temps j’envoyais mes lingots au changeur Durand, de Grenoble, dont l’intérêt m’assurait la discrétion… C’est ainsi que mon père et moi-même nous sommes parvenus à jouir de nos richesses sans éveiller de soupçons.

En donnant ces détails, le roi du Pelvoux paraissait aussi calme que s’il n’eût pas dû renoncer bientôt à ce trésor dont il avait été seul maître jusqu’à ce jour.

On s’avança vers le glacier ; Martin-Simon fit halte devant un rocher plus grand que tous les autres et appartenant à ce système de débris qui s’étageaient sur le flanc du mont Follet. Ses compagnons, groupés autour de lui, attendaient avec anxiété ce qui allait se passer. Il écarta quelques pierres, disposées avec soin de manière à former une muraille mobile, et il découvrit enfin une cavité de cinq à six pieds de haut, dont la profondeur pouvait être de dix à douze. C’était la mine d’or.

Un cri d’admiration s’échappa de toutes les bouches ; on se précipita impétueusement pour voir dans sa forme primitive le précieux métal. Le filon était étroit et écrasé entre ses gangues, mais il semblait aussi pur que possible, et il contenait seulement un peu de cuivre dont les cristaux ajoutaient encore à sa richesse apparente. Le soleil couchant dardait ses rayons jusqu’au fond de la grotte ; des paillettes scintillaient à la voûte, aux parois latérales, au sol même ; on eût dit que la nature avare, obligée de livrer ses richesses aux hommes, voulait, pour se venger, éblouir leurs yeux, exciter leurs désirs jusqu’à la frénésie.

Les assistans étaient plongés dans une espèce de ravissement. Martin-Simon seul restait impassible ; il entra dans la grotte et s’empara de quelques outils de mineur qui étaient par terre.

— Voilà tout ce que j’emporterai d’ici, dit-il : ces outils me rappelleront mes travaux passés dans ce souterrain que mon père a commencé… Vous, mes amis, continua-t-il en s’adressant aux spectateurs, ne me demandez plus rien. Vous désiriez voir la source où Martin-Simon puisait sa richesse ; la voici. Je vous cède mes droits sur ce métal. Seulement, quand l’avalanche aura détruit vos maisons, je ne pourrai plus les faire rebâtir ; quand la grêle aura saccagé les blés d’une famille, je ne pourrai plus nourrir la famille jusqu’à l’année suivante ; je ne pourrai plus doter les pauvres filles, faire réparer les chemins que les orages auront ravagés ; il n’y aura plus de protecteur, de bienfaiteur, de génie tutélaire au Bout-du-Monde… il n’y aura plus de roi du Pelvoux !

En même temps, il s’éloigna lentement, ses outils sur l’épaule, et alla s’asseoir sur le bord du plateau, laissant la grotte à la disposition de ceux qu’il avait amenés.

Ceux-ci se livrèrent alors sans contrainte à leur insatiable curiosité. Les uns se glissaient jusqu’au fond de la caverne et semblaient s’étonner que l’or ne se présentat pas à eux sous la forme d’une pièce jaune à l’effigie du roi Louis. Les autres, parmi lesquels se trouvait Eusébe Noël, cherchaient à détacher avec leurs ongles des cristaux adhérens au rocher, ne se doutant guère que le métal qui brillait le plus n’était pas le plus précieux. D’autres enfin allaient et venaient d’un air scrutateur autour du rocher aurifère, tandis que le chevalier de Peyras et Michelot, debout à quelques pas, rêvaient aux moyens de se rendre souls maîtres de cette riche proie.