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LA MINE D’OR.

Ces paroles trouvèrent de l’écho, et de toutes parts s’élevèrent des plaintes, des récriminations.

— Silence reprit Martin-Simon d’un ton d’autorité, et laissez-moi répondre à ce jeune débauché dont l’amour de l’or paraît avoir étouffé tous les sentimens généreux depuis quelques heures… Est-il bien sûr, monsieur de Peyras, qu’aux yeux du sage et de l’ami véritable de l’humanité, j’aie commis une si grande faute ? Que servirait à la société de posséder une plus grande quantité de ce métal jaune, cause de tant de malheurs et de tant de crimes ? Si cette montagne fût restée abordable, croyez-vous que notre beau village du Bout-du-Monde n’eût pas bientôt ressenti l’influence de ce funeste voisinage ? Croyez-vous que, dans ce pays de probité, de religion, de travail, une mine d’or n’eût pas répandu autour d’elle des exhalaisons malfaisantes qui eussent tout changé, tout vicié, tout flétri ? Mais, je l’avouerai, j’avais encore d’autres raisons que celles dont je parle pour me déterminer à ce grand sacrifice… — On se pressa autour du roi du Pelvoux, afin de ne rien perdre de ses aveux. — Lorsque mon père eut découvert ce filon d’or, reprit-il, sa misanthropie le porta d’abord à s’en éloigner et à ne révéler à qui que ce fut le secret de son existence. Cependant, plus tard, lorsque les blessures de son cœur furent un peu cicatrisées, lorsque des jours plus calmes eurent adouci l’amertume de ses pensées, il revint sur sa résolution, et ne dédaigna plus de profiter des richesses que le hasard avait mises entre ses mains. Mais il se promit de n’en être que le dispensateur, et il jura pour lui et ses descendans que, le jour où elles pourraient devenir une source de maux et de crimes, elles seraient placées hors de toute atteinte humaine. Ce fut dans ce but qu’il prépara cette poudre dont vous avez vu le terrible effet. Le serment qu’il avait prononcé lui-même, il l’exigea de moi, en me révélant le secret de sa découverte ; il me le fit répéter à son lit de mort, et telle est la promesse sacrée que je viens d’accomplir devant vous… Quelle que soit donc l’opinion des hommes sur ma conduite, j’ai l’assurance d’avoir rempli un devoir, et je ne m’en repens pas.

— Dieu vous récompensera, mon excellent père, dit Marguerite respectueusement ; il vous récompensera en vous donnant des jours longs et paisibles… Si les habitans des villes vous blâment, voici du moins des gens simples et droits qui comprendront ce que votre sacrifice leur vaudra de bonheur.

La jeune fille avait raison de parler ainsi, car tout indice d’exaspération avait disparu chez les montagnards. Le vieux Jean s’approcha de Martin-Simon, et dit en lui secouant cordialement la main :

— Allez, allez, beau-frère, personne ne vous en veut. À la vérité, c’était bien tentant, une mine où l’on n’avait qu’à se baisser pour ramasser de quoi vivre tranquillement pendant six mois… Mais, après tout, l’homme est fait pour travailler, et il vaut mieux être un laboureur ou un pâtre sous un beau ciel, en plein air, qu’un pauvre diable de mineur dans un trou obscur, comme une chauve-souris. Ainsi donc, beau-frère, vous avez agi sagement ; et, pour ma part, je vous remercie de nous avoir préservés de toutes ces sauterelles d’étrangers qui se seraient abattus sur notre pauvre vallée, attirés par l’or du mont Follet.

Les autres habitans du Bout-du-Monde, à l’exemple de leur doyen, vinrent serrer la main au roi du Pelvoux. Peut-être plusieurs d’entre eux pensaient-ils encore avec regret à cette riche proie qu’on leur avait soustraite, mais ils n’en firent rien paraître, et toute espèce d’arrière-pensée à ce sujet cessa lorsque Martin-Simon ajouta :

— Je vous préviens, mes amis, que je n’ai pas l’intention de conserver plus longtemps le titre de propriétaire des fermes que vous exploitez. Je n’ai jamais été très sévère pour le payement de vos annuités, et, à dire le vrai, l’argent que je recevais de vous était employé pour le bien de la communauté. À partir de ce moment, vous êtes absolument maîtres des maisons que vous habitez et des terres que vous cultivez… Nous donnerons une forme légale à cetle cession dès que vous le voudrez.

Des cris de joie, des battemens de mains accueillirent cette promesse, Là pensée qu’ils allaient être désormais propriétaires des dormiaines dont ils n’avaient été jusque-là que fermiers transportait les villageois ; ils accablèrent leur bailli de remerciemens empressés et tumultueux.

Cependant une conversations s’était établie à l’écart entre les quatre personnes qui s’étaient flattées un moment de posséder seules le secret du roi du Pelvoux. Lorsque l’aitention de Martin-Simon se reporta sur elles, le chevalier gesticulait d’un air animé, et disait en montrant le mont Follet.

— Oui, je le répète, tout espoir n’est pas perdu de parvenir de nouveau à cette mine d’or et d’en reprendre l’exploitation. On fera des miracles, s’il le faut, et on fondra les rochers avec du vinaigre, comme autrefois Annibal au passage des Alpes. Dès que la certitude de l’existence de ce filon va se répandre, les savans et les ingénieurs de tous les pays accourront ici, et ce qui nous paraît impossible aujourd’hui deviendra facile avant quelques mois peut-être…

Quo non mortalia pectora cogis ! grommela le maître d’école piteusement.

— Si en effet cette exploitation devait être reprise plus tard, dit Michelot d’un air pensif, il serait bon de constater dès à présent nos droits de premiers inventeurs par un acte authentique.

Martin-Simon s’avança vers eux en souriant :

— Ne vous laissez pas abuser par une chimère, dit-il en secouant la tête ; vous n’êtes pas familiarisés avec les montagnes ; vous ne connaissez pas les conditions que doit réunir une mine pour être productive… Regardez ces rochers qui jonchent en ce moment la vallée ; croyez-vous qu’il soit possible de les faire disparaître ou de se frayer un passage au milieu d’eux, même en employant les moyens fabuleux dont parle monsieur de Peyras ? et cette pyramide gigantesque, combien pensez-vous qu’il faudrait d’ouvriers seulement pendant vingt ans pour la rendre accessible à un cheval chargé ? Mais ce n’est pas tout encore ; pendant six mois de l’année une neige épaisse couvre le sommet du Follet, et il serait alors de la dernière témérité d’en essayer l’ascension ; désormais cette cime sera plus inhospitalière encore que par le passé. Avez-vous obsérvé que parmi les rochers écroulés se trouvait un bloc énorme de granit qui contenait le glacier comme une barrière et l’empêchait de s’étendre vers la mine ? Si vous aviez une idée de la marche de ces immenses amas de glaces et de neiges éternelles, vous comprendriez qu’avant deux années, à la première tempête peut-être, une avalanche aura recouvert la cime du Follet. Non, non, messieurs, ne vous arrêtez pas à ce rêve impossible ! Il faudrait, pour arriver à reprendre l’exploitation, plus d’or que le mince filon dont il s’agit n’en pourrait produire pendant cent ans ! Ne vous disputez donc pas cette richesse inutile ; elle est à jamais perdue.

Ceux à qui s’adressaient ces observations baissaient la tête d’un air confus à mesure qu’ils voyaient tomber pièce à pièce leur dernière illusion. Mais bientôt ce sentiment de désappointement céda lui-même la place à d’autres sentimens plus honorables. Le charme sous lequel les tenait une pensée exclusive venait de se briser. Ils se demandaient déjà avec honte si, dans le délire de la fièvre qui venait de cesser, ils n’avaient pas dit ou fait des choses blämables qu’il convenait de désavouer.

Le chevalier de Peyras surtout reconnut enfin ce qu’il y avait eu de coupable et de vil dans sa conduite depuis quelques heures. Il porta la main à son front, comme pour aider sa raison à repousser des images trompeuses, et parut sortir d’un songe pénible ; puis, entraînant Martin-Simon dans un coin de la grotte, il dit d’une voix altérée :