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LA MINE D’OR.

— Alors ce n’est pas du roi de Pelvoux que vous voulez parler, reprit la vieille un peu radoucie, car c’était un magicien qui avait tourné la tête aux gens du pays en leur faisant voir, avec le secours du démon, une mine d’or qui n’existe pas ; si bien que les uns sont morts fous, les autres dans la plus profonde misère… Ensuite, monsieur, je suis ici depuis peu de temps ; je ne sais pas grand’chose sur ce qui s’est passé avant moi. Peut-être les anciens habitans auraient-ils pu vous répondre, mais ils ont tous quitté la vallée depuis bien des années. Il faut être pauvres et abandonnés comme nous pour rester l’hiver dans ce vilain endroit, où nous risquons d’être engloutis sous la neige.

— Quoi ! demanda Maurice, ne se trouve-t-il donc plus dans le voisinage aucun de ceux qui habitaient le village il y a trente ans ?

— Aucun. Quand nous sommes arrivés, nous et les deux familles qui sont là-bas, cet endroit était désert ; nous nous sommes logées comme nous avons pu dans les ruines.

Maurice garda le silence ; il n’avait plus aucune question à faire, et cependant il hésitait encore à s’éloigner : il songeait au chagrin de la baronne lorsqu’elle apprendrait l’inutilité de ses recherches.

— Mère, dit tout à coup le petit garçon, pourquoi le monsieur ne va-t-il pas trouver la grande femme qui me fait toujours peur quand je la rencontre ? On dit qu’elle habite sa grotte depuis bien longtemps !

— Quelle est cette femme ? demanda Maurice avec intérêt.

— Une folle qui ne parle à personne et que personne ne connaît ; elle vit seule, à un quart de lieue d’ici, dans un endroit sauvage ; elle ne quitte son rocher que deux fois par mois, pour aller à la Grave chercher ses provisions. Elle n’a pas bonne réputation, et elle passe pour sorcière aussi bien que pour folle : peut-être ne vous dira-t-elle rien de bon, dans le cas où elle consentirait à dire quelque chose, car elle n’est pas parleuse… Mais Pierre a raison ; elle habite le pays depuis plus longtemps que nous, et elle pourrait vous apprendre des nouvelles de ceux que vous cherchez.

— Mais, quel est le nom de cette pauvre créature ?

— Oh, mon Dieu ! vous lui donnerez le nom que vous voudrez ; elle n’y tient pas… On l’appelle la Grande Femme, la Folle du Rocher, la Sorcière du Follet… Cependant, elle répond, m’a-t-on dit, plus volontiers au nom de Margot ou de Marguerite qu’à tout autre.

En entendant ce nom de Marguerite, Peyras tressaillit.

— Je vais aller la trouver sur-le-champ, dit-il avec précipitation, indiquez-moi le chemin.

— Le chemin n’est pas facile ; mais, si vous lé voulez, Pierre vous accompagnera, quoiqu’il ne se soucie pas de se trouver en présence de la folle.

— Il sera bien récompensé… De grâce, hâtons-nous ! on m’attend à quelques pas d’ici, et le froid est rigoureux… Allons, mon garçon, partons vite !

Il glissa un écu à la mère et voulut emmener l’enfant, qui ne semblait pas charmé de la commission. Cependant Pierre s’arma d’un long bâton pour suivre le jeune gentilhomme.

— Encore un mot, dit la montagnarde, que l’argent de Maurice avait bien disposée pour lui ; vous êtes un brave monsieur et je serais fâchée s’il vous arrivait malheur : eh bien ! je vous conseille de ne pas irriter la folle… on la dit méchante, et elle pourrait vous jeter un sort.

Maurice revint en toute hâte à l’endroit où il avait laissé sa mère, afin de lui rendre compte du résultat de sa démarche. La baronne l’attendait avec impatience. Dès qu’il lui eut fait part de son projet, elle s’écria chaleureusement :

— Je vous accompagnerai, mon fils. C’est elle, j’en suis sûre ; c’est la malheureuse Marguerite autrefois si belle, si riche, si respectée, qui habite maintenant le creux d’un rocher, en proie peut-être à la misère !

La petite caravane prit d’abort le sentier où avait eu lieu la conversation de Marcellin et de Marguerite à leur sortie de chez Eusèbe Noël. Puis on passa près de l’emplacement de la maison de Martin-Simon, dont il ne restait pas même des débris, et l’on gagna enfin le défilé sombre qui conduisait à la vallée du mont Follet ; mais alors les difficultés du chemin devinrent telles, que l’on fut obligé de s’arrêter. Le vallon et la gorge étaient encombrés de pierres ; les chevaux ne pouvaient plus se frayer un passage au milieu de ce chaos.

Là encore la rage des chercheurs de mine s’était exercée sans contrainte. Les masses imposantes tombées du Follet, dans la soirée mémorable dont nous avons raconté les événemens, avaient été brisées pour en extraire le précieux métal, et leurs débris étaient amoncelés sur le sol. Le mont lui-même avait été attaqué, comme on pouvait en juger aux tranchées et aux sondages dont on voyait les traces à sa base, mais il avait bravé toutes les atteintes. Son cône était toujours aussi régulier, aussi lisse, aussi inaccessible qu’autrefois, et, comme l’avait prédit Martin-Simon, il était couronné maintenant de glaces, éternelles.

Les voyageurs se trouvaient dans un grand embarras, vu l’état de souffrance de la baronne, qui ne lui permettait pas d’aller à pied jusqu’à l’habitation de la Folle du Rocher. Enfin il fut décidé qu’Ernestine resterait dans sa litière, sous la garde du muletier, tandis que son fils et le petit montagnard se rendraient seuls chez Marguerite. On établit la pauvre malade dans un enfoncement du sol, à l’abri du vent, et Maurice partit avec l’enfant, en promettant de revenir bientôt.

Ils se dirigèrent vers le bouquet de sapins qui existait encore au-dessus de la grotte habitée par l’inconnue, car cette grotte était celle où Martin-Simon avait jadis donné rendez-vous à ses hôtes. L’aspect de ces lieux n’avait pas changé comme celui de la vallée voisine ; ils étaient aussi âpres, aussi désolés, aussi tristes qu’autrefois. Maurice, tout occupé à des obstacles qui embarrassaient sa marche, n’avait encore pas songé à regarder au-dessus de lui, quand son guide, lui saisissant le bras, dit avec l’accent de la terreur :

— La voici !

Et il désignait du doigt une femme de haute taille, assise sur la plate-forme qui précédait la grotte.

Elle était enveloppée d’un long manteau de laine brune qui lui couvrait la tête, et elle restait complètement immobile. Son visage était tourné vers le mont Follet, de sorte que Maurice ne pouvait voir ses traits ; mais il y avait dans son apparition subite au milieu de ces rocs stériles, dans sa pose grave et méditative, dans son costume grossier, dans sa stature extraordinaire, quelque chose qui frappait d’étonnement et de respect.

— Je n’ai pas besoin d’aller plus loin, dit l’enfant à voix basse, comme s’il eût craint que ses paroles n’arrivassent jusqu’à l’habitante de la grotte ; je vais rejoindre la dame qui est restée en arrière, et nous vous attendrons… Dieu veuille qu’il ne vous arrive pas malheur !

En même temps, sans attendre la permission du voyageur, Pierre fit un signe de croix et s’enfuit aussi vite que le permettaient les difficultés du chemin.

Resté seul, Maurice ne put s’empêcher de ressentir une appréhension vague en songeant à la bizarrerie du personnage qu’il allait visiter ; mais ce sentiment dura peu. Honteux d’avoir peur d’une femme, il se mit à gravir avec précipitation le penchant de la montagne et en quelques minutes il eut atteint le rocher sur lequel était assise la solitaire.

Il s’arrêta de nouveau, cherchant le moyen de l’aborder d’une manièro convenable sans l’effrayer elle-même. Pendant qu’il réfléchissait, l’inconnue tourna la tête vers lui et le regarda fixement. Son visage était d’une maigreur effrayante, ses yeux étaient caves, enfoncés, mais pleins d’une ardeur fiévreuse. Maurice par un sentiment de res-