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LA MINE D’OR.

me suis tenue prête à vous être utile encore une fois… Vous avez sans doute un cheval ; allez le chercher… En prenant sur la gauche, vous trouverez un passage pour lui au milieu des roches. Vous le conduirez jusqu’au pied de la montagne, et vous pourrez le charger sans qu’on vous voie.

— Mais, mademoiselle…

— Allez, dit-elle avec un geste impérieux.

Mauriee obéit sans pouvoir s’en défendre, et redescendit le sentier. La solitaire le suivit un moment des yeux en branlant la tête et en prononçant des paroles inintelligibles ; puis elle rentra précipitamment chez elle.

La grotte habitée par la fille de Martin-Simon était d’une austérité qui rappelait les demeures des anciens Saxons, ou celles des ermites de la Thébaïde. Cependant, depuis l’époque où elle avait été le théâtre des événemens de cette histoire, elle avait subi quelques changemens. L’entrée en avait été formée par une maçonnerie grossière, dans laquelle était scellée une lourde porte en chêne. Cette porte donnait seule un peu de lumière dans la caverne, où l’on apercevait quelques meubles misérables.

Marguerite alluma une lampe, et, s’armant d’une bêche, s’avança vers un angle obscur de sa demeure souterraine. Là elle déposa sa lampe à terre, et creusa le sol avec activité.

Bientôt elle mit à découvert un petit baril cerclé en fer dont le bois vermoulu devait avoir été exposé pendant hien des années à l’humidité. Marguerite réunit tous ses efforts pour le retirer de la fosse.

— C’est le dernier débris de notre opulence passée, murmurait-elle ; quand je l’ai enfoui dans cet endroit, je songeais à lui… C’est son fils qui l’aura ! J’étais gardienne de ce dépôt, je le leur rends… Je craignais encore pour ce trésor les voleurs et les assassins ; qu’ils viennent, maintenant, je ne les craindrai plus !

Pendant qu’elle prononçait ces paroles, on entra doucement dans la grotte, dont elle avait laissé la porte entr’ouverte. Tout à coup une voix douce s’écria sur le ton d’une profonde émotion :

— Marguerite, ma chère Marguerite, est-ce vous ?

La solitaire recula vivement et laissa tomber sa bêche. À la faible clarté qui éclairait cette partie de la grotte, elle venait de reconnaître Ernestine, pâle, vieillie, appuyée sur son fils qui dirigeait sa marche chancelante. Le visage de Marguerite se colora d’un rouge ardent.

— Je ne voulais pas la voir ! s’écria-t-elle avec force en s’adressant à Maurice ; monsieur, c’est cruauté de mettre ainsi en présence deux malheureuses femmes si différentes maintenant de ce qu’elles étaient autrefois.

— Oh ! ne blâmez pas mon fils ! dit Ernestine d’un ton suppliant ; j’ai insisté pour venir troubler votre repos… j’espérais que, malgré votre goût pour la retraite, vous ne resteriez pas insensible aux rcmerciemens d’une mère dont vous voulez protéger l’enfant, aux preuves d’affection d’une parente, d’une ancienne amie !

Marguerite ne répondit pas d’abord ; elle examinait attentivement sa rivale, et, en voyant ses joues creuses, ses yeux éteints, ses cheveux blancs, ses vêtemens de deuil elle semblait chercher en elle la belle et fraîche jeune fille de trente ans auparavant. Ernestine, de son côté, était épouvantée des ravages que le temps avait fait sur la beauté grave et fière de la fille du roi du Pelvoux.

— Elle a raison, reprit enfin Marguerite, comme si elle se parlait à elle-même, nous sommes parentes, et elle m’a peut-être aimée dans son cœur… D’ailleurs, elle défendit mon père le jour où je l’accusais moi-même !

Elle se tut brusquement, s’apercevant peut-être que, suivant l’habitude des solitaires, elle venait d’exprimer tout haut sa pensée. Elle ramassa sa lampe et, conduisant la mère et le fils dans la partie habitée de la grotte, elle dit avec une politesse emphatique :

— Que ma parente soit la bienvenue dans la pauvre demeure de Marguerite de Peyras ! — Elle fit asseoir Ernestine sur un fauteuil de bois qui semblait être sa place habituelle, et s’assit elle-même sur un escabeau à ses pieds. La mère de Maurice était glacée par les manières bizarres de son hôtesse ; son embarras redoubla quand Marguerite reprit avec un sourire amer : — Ma parente me pardonnera de ne pas la recevoir plus somptueusement ; je ne suis plus la fille du roi du Pelvoux, mais une recluse qui achève tristement ses jours dans le creux d’un rocher… Cependant tout ce qui est ici appartient à ma parente, et s’il est quelque chose que je puisse faire pour lui être agréable, elle n’a qu’à parler.

— Je voulais vous remercier, Marguerite, dit Ernestine avec effort, de l’appui que vous avez promis à Maurice.

— Vous m’y faites penser, madame, tout est prêt ; votre fils peut emporter ce qui lui appartient.

Et elle montra le baril qu’elle venait de déterrer.

— Prenez, dit-elle ; la charge est lourde, mais il est bien peu d’hommes qui voudraient s’en plaindre : c’est de l’or, jeune homme, et, si vos désirs sont bornés, vous pourrez être heureux.

Maurice n’osait accepter un don présenté d’une manière si extraordinaire ; mais une nouvelle insistance le décida. Subjugué par cette femme singulière, il transporta le précieux fardeau vers l’entrée de la grotte. Alors Marguerite, toujours avec la même politesse froide et en quelque sorte automatique, se tourna vers la baronne :

— Je remercie ma parente de sa visite, reprit-elle, et je suis fâchée de n’avoir pu lui procurer les secours que sa maladie et sa faiblesse la mettaient en droit d’attendre chez moi ; mais il est tard, et il lui sera difficile de retourner ce soir à l’hospice du Lautaret, si elle tarde davantage à se remettre en chemin… D’ailleurs, il n’est pas prudent de voyager la nuit avec un pareil trésor, continua-t-elle en désignant le baril d’or qui était resté aux pieds de Maurice.

Ernestine se leva en chancelant et prit la main de Marguerite.

— Nous ne nous séparerons pas ainsi, dît la baronne en fondant en larmes. Mon amie, le temps, qui a changé tant de choses autour de vous, a-t-il donc aussi changé votre cœur ? Je vous aimais, moi, je vous aime encore, et je ne puis comprendre pourquoi vous me haïssez… Si autrefois, il y a bien longtemps, j’ai commis une faute qui excita votre sévérité, votre mépris peut-être, j’ai bien cruellement expié cette faute, je vous le jure.

— Je ne suis pas votre juge, répliqua Marguerite d’un ton farouche ; mais, je vous en supplie, ne revenons pas sur le passé… Nous sommes l’une et l’autre tombées dans l’affliction ; à quoi sert de nous attendrir, vous sur mes maux, moi sur les vôtres ? Chacune de nous a bien assez de ses chagrins !

— Marguerite, dit Ernestine d’un air de douceur qui contrastait avec le sombre désespoir de la solitaire, il a fallu de bien grands malheurs, de bien vives souffrances pour aigrir ainsi votre âme… Eh bien ! puisque vous le voulez, ne touchons pas à des blessures encore saignantes ; laissons le passé, j’y consens, et parlons du présent… Si je suis entrée ici malgré vous, quand mon fils m’a eu raconté dans quel état il vous avait trouvée, c’est que je ne saurais vous abandonner dans ce désert… Nous accepterons vos bienfaits, mais à une condition… c’est que vous viendrez partager l’aisance que nous vous devrons…

— Vous prévenez ma pensée, madame, dit Maurice avec chaleur ; quant à moi, je refuserais les dons d’une parente que j’aurais laissée dans un dénûment pareil à celui que nous voyons…

Marguerite les regarda l’un après l’autre en silence, puis elle dit avec moins d’amertume :

— Ce jeune homme a un noble cœur, et vous, madame, je le sais, vous êtes bonne et compatissante. Pourquoi s’est-il élevé entre nous un obstacle invisible qui nous sépare ? Merci de votre pitié… mais je dois rester ici.

— Et pourquoi refuseriez-vous de venir partager notre sort ? Je suis en proie à un mal terrible, et mes jours sont