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ROMANS CHOISIS. — ÉLIE BERTHET.

un grondement qu’on pouvait prendre pour une affirmation.

Michelot donna assez bien dans le panneau ; peut-être, s’il eût été moins accablé par ses souffrances, et s’il eût eu sa finesse d’esprit ordinaire, la fable inventée par Martin-Simon eût-elle eu moins de succès près de lui ; mais il se contenta de demander, en se penchant en arrière :

— Eh bien ! alors, pourquoi ne parlent-ils pas ?

— Pardieu ! s’ils ne parlent pas, répondit gaillardement le montagnard, c’est qu’ils ont de bonnes raisons pour cela ; ils n’entendent pas un mot de français, et ils ne savent parler que le patois de notre village. D’ailleurs, les pauvres diables sont exténués de fatigue, et, s’ils étaient à la ferme, ils seraient couchés depuis deux heures. Ne voyez-vous pas qu’ils s’endorment devant toute la compagnie, comme de vrais malappris qu’ils sont ? ils allaient se retirer lorsque vous êtes arrivés. Si vous le permettez, je prierai un de ces bons moines de nous conduire aux cellules que l’on nous a préparées, et je veillerai moi-même à ce que les petits drôles ne manquent de rien ; après quoi je reviendrai pour souper avec ces braves messieurs les militaires, qui me paraissent tout aussi bien disposés que moi à casser une croûte et à goûter le vin des révérends.

En même temps, il poussa rudement ses prétendus neveux vers la porte, en leur adressant quelques mots en patois qu’ils n’avaient garde de comprendre. Le procureur conservait pourtant des soupçons ; car, en voyant Martin-Simon sortir avec les deux frères, il étendit le bras comme pour les retenir, et murmura d’une voix tremblante :

— Ceci n’est pas clair ; il faut savoir… je veux… je les interrogerai moi-même… demain !

Mais la violence qu’il s’était faite avait achevé d’user ses forces ; la fatigue et la fièvre l’emportèrent sur le zèle de l’intrépide légiste, et il retomba dans un anéantissement profond de toutes ses facultés. Les religieux lui prodiguèrent les soins que l’expérience leur avait appris être le plus convenables en pareille circonstance, et on le transporta sur un lit dans un état assez alarmant.

II

L’AVEU.


Cependant Martin-Simon avait fait signe au prieur de le précéder avec une lampe, et avait entraîné les deux jeunes gens vers un corridor le long duquel étaient dispersées les cellules réservées aux voyageurs qui s’arrêtaient au Lautaret. Le prieur obéit, et il les introduisit en silence dans la petite chambre destinée au plus jeune des frères ; puis il se retira, après avoir échangé quelques mots à voix basse avec Martin-Simon. Celui-ci alla fermer soigneusement la porte derrière lui, afin de n’avoir à redouter la visite d’aucun indiscret.

La cellule où ils venaient d’entrer était d’une simplicité toute monastique ; les murs étaient blanchis à la chaux, sans sculptures et sans ornemens ; une mince couchette de bois blanc, une chaise, un prie-Dieu, une table sur laquelle était ouvert un livre de prières, composaient l’ameublement. Mais ni le montagnard, ni les deux fugitifs ne songeront à examiner ces détails. Ernest alla se jeter sur un siège, et, se cachant le visage dans ses mains, il donna cours à ses larmes longtemps contenues. Marcellin était encore tout frémissant de la terrible extrémité à laquelle il se serait trouvé réduit sans l’intervention de son nouvel ami.

Martin-Simon, après s’être assuré que personne, ne pourrait venir les surprendre, s’avança rapidement vers eux.

— Vous n’êtes pas sauvés encore ! dit-il à demi-voix ; c’est vous que l’on cherche, je n’en ai nul doute. Mais avant de me compromettre davantage pour vous rendre service, il faut absolument que, je sache… Ernest saisit la large main du montagnard et la pressa contre ses lèvres.

— Oh ! vous saurez tout ! s’écria-t-il en sanglotant ; nous devons mettre en vous toute notre confiance, car, sans votre présence d’esprit, sans votre générosité, nous étions perdus. Marcellin, continua-t-il en se tournant vers son frère, nous ne devons plus rien cacher a cet excellent homme ; il peut certainement nous tirer de l’abîme où nous nous sommes jetés avec tant d’imprudence. Dites-lui la vérité, je le veux.

— C’est aussi mon désir, reprit Marcellin avec vivacité, sans lui j’allais peut-être verser le sang de ce misérable Michelot ou de quelqu’un de ses compagnons, ce qui eût fort compliqué nos affaires… Eh bien ! oui, ajouta-t-il en s’adressant au montagnard, vous nous avez rendu un service immense et dont je vous récompenserai, je le jure ; c’était nous que l’on cherchait ici, et, sans nul doute, nous allions être découverts lorsque votre ruse audacieuse a trompé nos ennemis.

— Mais, au nom de Dieu ! qu’avez-vous donc fait, demanda Martin-Simon, pour que l’on vous poursuive avec tant d’acharnement ? Il me semblait avoir entendu dire à cette espèce d’homme de loi qui est en bas, qu’une jeune demoiselle…

— C’est moi, murmura Ernest.

Au même instant le prétendu frère de Marcellin ôta son chapeau et laissa voir les traits purs et corrects d’une jeune fille toute rouge de confusion, et que cette pudeur rendait plus charmante encore. Ses cheveux blonds se déroulaient en longues boucles sur ses épaules, et, malgré son déguisement, il n’était plus possible de s’y méprendre ; ses allures timides, ses larmes, sa douce voix étaient expliquées.

— Vous devinez notre secret maintenant, reprit Marcelin avec chaleur ; nous ne sommes plus deux frères, mais deux amans, deux époux fuyant des parens impitoyables qui refusaient de les unir. Je suis sûr que vous n’aurez même pas la pensée de blâmer notre action désespérée.

— Nous pourrions ne pas nous entendre à cet égard, dit Martin-Simon d’un ton sec ; cependant, continua-t-il en s’asseyant, je ne demande pas mieux que de vous trouver dignes d’indulgence. Parlez.

Le personnage que nous avons désigné jusqu’ici sous le simple nom de Marcellin ne parut pas extrêmement flatté de l’air d’autorité et de sévérité avec lequel un homme d’un extérieur si simple se constituait son juge et celui de sa compagne. Aussi, afin de faire sentir jusqu’à un certain point à Martin-Simon quels égards leur étaient dus, il s’empressa de dire avec une sorte de complaisance :

— Mademoiselle s’appelle Ernestine de Blanchefort, et elle est fille unique du marquis de Blanchefort, lieutenant civil et criminel de Lyon. Quant à moi, je suis le chevalier Marcellin de Peyras, seul rejeton d’une famille riche et considérée dans le Lyonnais.

Ce pompeux étalage de titres produisit sur son auditeur un effet plus prompt et plus grand encore que ne l’avait espéré le jeune gentilhomme. Martin-Simon bondit sur son siège et le regarda avec des yeux effarés.

— Le chevalier de Peyras ! s’écria-t-il avec agitation. Oh ! sans doute vous êtes le fils de Philippe de Peyras, dont le frère aîné… Mais répondez-moi, jeune homme : êtes-vous fils de Philippe Peyras ?

— Je le suis, répondit Marcellin. Mais puis-je savoir, monsieur, comment le nom de feu mon père est venu à votre connaissance ? — Le montagnard continua de l’examiner d’un air agité sans répondre. — Monsieur, reprit Marcellin, je vous demande si, comme je puis le supposer à votre étonnement, vous vous êtes jamais trouvé en relation avec quelques personnes de ma famille ?

— Moi ? jamais ! dit brusquement Martin-Simon. Qu’y a-t-il d’étonnant que je désire savoir si vous êtes le fils d’un homme dont j’ai entendu parler quelquefois… il y a