Page:Bertrand - D’Alembert, 1889.djvu/205

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ils éclipseraient tout à vos yeux, et peut-être vous tiendraient lieu de tout.

La même justesse de goût qui vous donne un si grand usage du monde, se montre assez généralement dans les jugements que vous portez sur les ouvrages. Vous ne vous y trompez guère, et vous vous y tromperiez encore moins, si vous vouliez toujours être réellement de votre opinion, et ne point juger d’après certaines personnes aux genoux desquelles votre esprit a la bonté de se prosterner, quoiqu’elles n’aient pas à beaucoup près le don d’être infaillibles. Vous leur faites quelquefois l’honneur d’attendre leur avis, pour en avoir un qui ne vaut pas celui que vous auriez eu de vous-même.

Vous avez encore un autre défaut, c’est de vous prévenir et, comme on dit, de vous engouer à l’excès en faveur de certains ouvrages. Vous jugez avec assez de justice et de justesse tous les livres où il n’y a qu’un degré médiocre de sentiment et de chaleur : mais quand ces deux qualités dominent dans certains endroits d’un ouvrage, toutes les taches, même considérables, qu’il peut avoir, disparaissent pour vous ; il est parfait à vos yeux, et il vous faut du temps et un sens plus rassis pour le juger tel qu’il est. J’ajouterai cependant, pour vous consoler de cette censure, que tout ce qui tient au sentiment est un objet sur lequel vous ne vous trompez jamais, et qu’on peut appeler votre domaine.

Mais ce qui vous distingue surtout dans la société, c’est l’art de dire à chacun ce qui lui convient ; et