Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/27

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de pins et de chênes-verts et, çà et là, de tamarins et d’oliviers sauvages. Partout, les frondaisons forestières déferlaient en une vaste houle moutonnante. Le soleil allait tomber derrière l’horizon. Une fraîcheur exquise s’élevait de toutes ces verdures. Mais Cyprien, obsédé par les mêmes pensées, ne sentait ni ne voyait rien. Il repassait en son esprit les difficultés auxquelles se heurtait son projet de concile. Il savait combien l’autorité impériale était soupçonneuse, de quel œil inquisiteur elle épiait les réunions des chrétiens, surtout les allées et venues des évêques. Réussirait-il à tromper la vigilance des espions et des gens de police ? Pourtant les précautions les plus minutieuses avaient été prises ! Mais les difficultés étaient peut-être pires du côté des fidèles eux-mêmes. L’évêque de Carthage connaissait par expérience l’entêtement irréductible de certains confesseurs, la sottise obtuse et l’insolence de ces demi-martyrs, qui semblaient n’avoir donné leur sang que pour ébranler la foi, en propageant l’anarchie dans l’Église… Il voyait tout cela avec tristesse. Et cependant les dangers du dehors lui apparaissaient non moins redoutables que ceux du dedans. Voici que des rumeurs sinistres recommençaient à courir. Est-ce que la persécution allait encore une fois se rallumer ?

Et puis, une autre angoisse le torturait, une angoisse plus pénible que toutes les autres, ce à quoi il avait fait allusion tout à l’heure, ce qui, au fond, plus que le concile, déterminait son voyage à Cirta : l’état d’âme de son intime ami Cécilius Natalis, ce rival de gloire et d’éloquence, qu’il avait autrefois converti et baptisé à Carthage. Et voilà que, depuis quelque temps, il le sentait faible dans la foi, — depuis que Cécilius était revenu s’installer et comme s’ensevelir dans ses propriétés de Cirta. Déjà vieux et sans famille, comment vivait-il ? Avec qui vivait-il ? Quelle était la cause de sa tiédeur ? Allait-il, après beaucoup d’autres, apostasier, — lui, personnage illustre, orateur de talent, vanté à Rome comme à Carthage, sur qui toute la province avait les