Page:Bertrand - Sanguis martyrum, 1918.djvu/321

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suivi par des gardiens qui portaient des corbeilles, leur offrait des boissons et de la nourriture. La plupart refusaient. Ils n’acceptaient qu’un peu de vin pur, afin de soutenir leurs forces jusqu’au bout. Cécilius et ses compagnons firent comme les autres. Ils se passèrent la coupe de main en main, puis ils se donnèrent pour la dernière fois le baiser fraternel. Ils étaient calmes, pleins d’une sérénité, d’une confiance en Dieu, d’un abandon total à sa volonté qui tenait du miracle. Tous restaient silencieux, sauf Nartzal qui, toujours inquiet, agité de pressentiments, frôlé par des présences invisibles, prophétisait. Les bras tendus vers le septentrion, il annonçait la ruée de cavaliers aux visages terrifiants, aux armures éblouissantes de clarté, montés sur des chevaux dont la robe était blanche et lumineuse comme de la neige au lever du soleil. Déjà il entendait le hennissement des cavales, le martèlement de leurs sabots foulant le sol conquis. Et il prédisait que les justes seraient vengés, que des calamités et des épreuves inouïes allaient s’abattre sur le monde : des pestes, des famines, des captivités et des servitudes, — et les dévastations des villes et des champs, les incendies des temples et des bois sacrés… Comme il parlait très haut, lançant ces paroles enflammées, dans tout l’emportement de l’inspiration, cela exaspérait les soldats et les gardiens qui étaient là : ils redoublaient de sévérité, d’injures et de mauvais traitements à l’égard des condamnés. Alors Cécilius, par pitié pour les frères, supplia Nartzal de se taire ou de parler plus bas. Quant à lui, il ne voyait qu’une chose : la fin de l’épreuve, la joie toute proche d’être avec le Christ. D’abord cette pensée d’être réuni au Verbe de Dieu l’avait épouvanté. Une telle gloire pour une pauvre créature, était-ce possible ? Une telle fulguration du mystère n’allait-elle pas l’aveugler à jamais ? Il espérait bien le repos, le rafraîchissement céleste après ce long labeur et cette aridité de la mine. Mais posséder le Christ ! Être avec Lui ! Cela pouvait-il se concevoir sans l’anéantissement de la pensée même ? Et puis