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POÈTES D’AUJOURD’HUI

Ne demandez pas à mon cœur plus qu’à la vie…
Je sais qu’ils dorment là, derrière les cloisons,
Je n’ai plus le besoin d’aller les reconnaître ;
De la route je vois leurs petites fenêtres, —
Et ce sera jusqu’à ce que nous en mourions.
Pourtant je sens parfois, aux ombres quotidiennes,
Je ne sais quelle angoisse froide, quel frisson.
Et ne comprenant pas d’où ces douleurs proviennent
Je passe…
Or, chaque fois, c’est un deuil qui se fait.
Un trouble est en secret venu nous avertir
Qu’un souvenir est mort ou qu’il s’en est allé…
On ne distingue pas très bien quel souvenir,
Parce qu’on est si vieux, on ne se souvient guère…

Pourtant, je sens en moi se fermer des paupières.

(La Chambre blanche. Fasquelle.)

L’ADIEU

Mon enfance, adieu mon enfance. — Je vais vivre.
Nous nous retrouverons après l’affreux voyage,
Quand nous aurons fermé nos âmes et nos livres,
Et les blanches années et les belles images…
Peut-être que nous n’aurons plus rien à nous dire !
Mon enfance… tu seras la vieille servante,
Qui ne sait plus bercer et ne sait plus sourire.
Et moi, plein de ton amertume vigilante,
J’ensevelirai le mystère des paroles…
Adieu. — Nous rouvrirons les portes du village,
Et ce sera la nuit de fête qui console…
Et la pluie mouillera ces tendres paysages…
Les paysans d’alors dormiront dans leurs chambres…
Et les jardins auront leur place accoutumée…
Ce sera quelque nuit limpide de décembre,
Avec la même route unie et parfumée…
Et les branches qui font des silences soudains…
Les femmes qui traversent une lampe à la main…