Page:Bibaud - Épîtres, satires, chansons, épigrammes, et autres pièces de vers, 1830.djvu/13

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Ma muse ignorera ces nobles épithètes,
Ces grands mots si communs chez tous nos grands poètes :
Me bornant à parler et raison et bon-sens,
Je saurai me passer de ces vains ornemens :
Non, je ne serai point de ces auteurs frivoles,
Qui mesurent les sons et pèsent les paroles.
Malheur à tout rimeur qui de la sorte écrit,
Au pays canadien, où l’on n’a pas l’esprit
Tourné, si je m’en crois, du côté de la grâce ;
Lafare et Chaulieu[1] marchent après Garasse.[2]
Est-ce par de beaux mots qui rendent un doux son,
Que l’on peut mettre ici les gens à la raison ?
Non, il y faut frapper et d’estoc et de taille,
Être, non bel-esprit, mais sergent de bataille.
  « Si vous avez dessein de cueillir quelque fruit,
« Grondez, criez, tonnez, faites beaucoup de bruit :
« Surtout, n’ayez jamais recours à la prière ;
« Pour remuer les gens, il faut être en colère :
« Peut-être vous craindrez de passer pour bavard ?
« Non, non, parlez, vous dis-je, un langage poissard ;
« Prenez l’air, et le ton et la voix d’un corsaire
Me disait, l’autre jour, un homme octogénaire ;
« Armez-vous d’une verge, ou plutôt d’un grand fouet,
« Et criez, en frappant, haro sur le baudet, »
Oui, oui, je vais m’armer du fouet de la satire :
Quand c’est pour corriger, qui défend de médire ?

  1. Auteurs de poésies légères pleines d’esprit et d’agrément.
  2. Écrivain sans jugement, dont les ouvrages sont remplis de turlupinades indécentes et d’injures grossières.