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 Combien de gens sont morts à l’âge de trente ans,
Pour n’avoir pas voulu débourser trente francs !
L’avarice, souvent, ressemble à la folie ;
De même elle extravague, et de même s’oublie.
« Ami, comment vas-tu, comment vont tes parens ? »
Dit Blaise à Nicholas, qu’il n’a vu de trois ans :
« D’où te vient cet ulcère aussi noir que de l’encre ?
— « Je ne sais — Tu ne sais ! malheureux, c’est un chancre.
— « Un chancre ! non — C’est donc un ulcère malin.
— « Peut-être. — Eh ! que n’as-tu recours au médecin,
« Plutôt qu’être rongé ? — Je le ferais sans doute ;
« Mais, Blaise, tu le sais, la médecine coûte ! »
L’insensé voulut vivre en dévorant son mal,
Pour s’en aller après mourir à l’hopital ;
Non, parce qu’il était réduit à la misère ;
Mais de peur d’appauvrir son unique héritière.
 Là, le riche fermier laisse pourrir son grain ;
Il se vend quinze francs, il en demande vingt ;
La récolte venue, il n’en aura pas douze ;
Car l’avare, souvent, et s’aveugle et se blouse.
 Ici, le tavernier, peu content de son gain,
Au moyen de l’eau, double et son rhum et son vin.
 Ce fermier veut semer, et n’a point de semence ;
Il va chez son voisin, où règne l’abondance.
Lui demande un minot ou de seigle ou de pois :
« Oui, » dit l’autre, a pourvu que tu m’en rendes trois.
« Que dis-je, trois ! c’est peu ; tu m’en remettras quatre.
— « Quatre pour un ! bon dieu ! — Je n’en puis rien rabattre ;
« Il est, je crois, permis de gagner sur un prêt.
— Oui, mais quatre pour un c’est un fort intérêt.