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« Tu te moques de nous, je crois, » lui dit un rustre :
« Ton habit est fort beau, mais il a trop de lustre :
« Nous sommes complaisants, nous allons l’éponger. »
Ils prennent l’hôte, et puis, tout droit le vont plonger,
Vêtu comme il était, au bord de la rivière ;
Et le roulent, après, dans un tas de poussière.
Le malheureux en fut malade quinze jours,
Et perdit son habit ; mais il eut son recours :
Nos rustres, amenés par-devant la justice,
Payèrent médecin, habit, voyage, épice ;
Apprirent, comme on dit, à vivre, à leurs dépens.
 Mais l’envie est, parfois, cause de maux plus grands.
Pourquoi nos gens heureux sont-ils en petit nombre ?
C’est que plusieurs de nous sont jaloux de leur ombre.
Quelqu’un désire-t-il, comme on dit, s’arranger,
Aussitôt chacun cherche à le décourager ;
Chacun le contredit, le tourne en ridicule ;
Et même de lui nuire on ne fait point scrupule.
Éconduits, jalousés, que d’hommes à talents
Ont quitté leur pays, ou sont morts indigents !
Est-ce ainsi qu’on en use en France, en Angleterre ?
L’étranger qui s’en vient habiter notre terre,
Voyant chez nous si peu d’accord ou d’amitié,
S’indigne contre nous, ou nous prend en pitié.
Faut-il que l’envie entre en des cœurs magnanimes !
Ici, Germains, Bretons sont toujours unanimes :
Nous ne les voyons point se nuire, s’affliger,
Pour un brimborion prêts à s’entr’égorger ;