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Cultiver son esprit ?… Ah ! c’est une autre chose ;
On ne peut s’y résoudre, on le craint, on ne l’ose :
On est fier d’un verger, d’un champ, d’un palefroi,
D’un chien : de son esprit, nullement. Loin de moi
Le dessein de parler contre l’agriculture ;
Cet art est le premier qui fut dans la nature :
Il fait jaunir les champs, fait fleurir les jardins ;
Il embellit la terre, et nourrit les humain,
Enrichit le pays, entretient le commerce :
Honneur, donc, et profit à quiconque l’exerce.
Mais devons-nous toujours soumettre l’âme au corps ;
Négliger le dedans, pour parer le dehors ;
Mettre avant l’infini[1] le moment ? J’aime à croire
Que l’âme, après la mort, gardera la mémoire
De tout ce qu’ici bas, l’homme connut, apprit ;
Que si, sur terre, il a cultivé son esprit,
Son esprit saura plus que si, par indolence,
Il eût, avec son corps, croupi dans l’ignorance.
Oh ! combien ce pays renferme d’ignorans,
Qu’on aurait pu compter au nombre des sa vans,
S’ils n’eussent un peu trop écouté la Paresse,
Et s’ils se fussent moins plongés dans la mollesse !
Combien, au lieu de lire, écrire, ou travailler,
Passent le temps à rire, ou jouer, ou bâiller !
À l’exemple voisin des dix-huit républiques,[2]
Vit-on jamais, ici, des corps académiques ?

  1. L’infini en durée, ou l’éternité.
  2. À l’époque de la composition de cette satire, l’Union américaine ne comprenait que dix-huit États : elle se compose aujourd’hui de vingt-trois ou vingt-quatre.