Page:Bibaud - Épîtres, satires, chansons, épigrammes, et autres pièces de vers, 1830.djvu/64

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Dire, non pas, « Je sens, » mais, « Messieurs, vous sentez, »
Ou, « d’admiration vous êtes transportés ;
« Vous tressaillez de joie : » ou, dans le sens contraire,
« Ce maussade écrivain vous met tous en colère. »
Nous goûtons ! détestons ! Eh ! mais, qu’en savez-vous ?
Pensez pour vous, monsieur ; nous penserons pour nous.
Le critique devient un censeur ridicule,
S’il veut, bizarrement, donner de la férule
À son contemporain, qui peut, sans le savoir,
Redire un vers, un mot, qu’ailleurs il a cru voir.
Avant de prendre en main la plume pour écrire,
Faut-il donc avoir lu tout ce qui s’est pu dire ;
Devrais-je crier : blanc, quand on a crié : noir,
Ou dire trébucher, parce qu’on a dit choir ;
Et lorsque je pourrais m’exprimer avec grâce,
Joindre ensemble des mots qui se font la grimace ?
Où tel autre fut doux, faut-il que je sois dur ;
S’il parla clairement, que je devienne obscur ;
Ou, de peur de puiser, boire à la même source,
Qu’à tout moment, j’arrête ou détourne ma course ?
« Un autre a dit la chose avant vous. » — Je vous crois ;
Mais c’est que, par hazard, il vécut avant moi :
Je l’eusse dite avant, avenu le contraire.
Faut-il donc approuver l’écrivain plagiaire ?
Non, mais qui nomme-t-on plagiaire écrivain ?
Celui qui pille, prend et dérobe sous main ;
Qui pendant son larcin, avant, après, se cache.
Cet homme, à mon avis, est un poltron, un lâche ;
Un pauvre, paresseux et digne de mépris,
Qui ne possède rien que ce qu’il a surpris.