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Page:Bibaud - Épîtres, satires, chansons, épigrammes, et autres pièces de vers, 1830.djvu/78

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Des témoins appelés un petit nombre, enfin,
Jurent qu’elle a fait pacte avec l’esprit malin.
C’en est assez ; Suzanne, à la mort condamnée,
Va se voir au supplice indignement trainée.
Pour la femme de bien, trop tôt, le jour fatal
Arrive ; mais, trop tard, pour le peuple brutal.
Près de mourir, Suzanne, en femme vraiment forte,
Aux Juges s’adressant, leur parla de la sorte : —
« Juges, peuple, écoutez : quand, près de ce bûcher,
« Je déclare n’avoir rien à me reprocher ;
« Ma situation doit me rendre croyable.
« Des calomniateurs ont dit qu’avec le diable
« J’avais fait pacte : hélas ! si l’homme et le démon
« Peuvent entr’eux s’entendre, et former liaison,
« Je l’ignore ; mais Dieu connaît mon innocence.
« Lorsque je parle ainsi, peut-être que j’offense
« Vos parjures témoins, auteurs de mon trépas….
« Eux ! non, reprenons-nous, ne les accusons pas ;
« Mais vous, quand, abusant d’une puissance auguste,
« Vos sacrilèges mains versent le sang du juste.
« Serais-je indifférente et sans ressentiment,
« Quand vous trempez vos mains dans mon sang innocent ?
« Que puis-je souhaiter à tous tant que vous êtes,
« Si ce n’est que ce sang retombe sur vos têtes ?
« Mais non sur vos enfans… Ah ! malheureux témoins !
« Par votre indigne fait, durant un temps, au moins,
« Mes enfans, juste ciel ! rougiront de leur mère ;
« Et croiront, abusés, qu’elle mourut sorcière…
« Désolante pensée… Ah ! si du moins mon sang
« Pouvait leur inspirer un autre sentiment !