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COMMENTAIRE HISTORIQUE

que subit Du Bellay, dont la plus importante, celle de Peletier, est complètement laissée de côté par Binet (v. ci-dessus, p 112, aux mots « de Ronsard et de Baïf ») ; la troisième, sur la date où du Bellay écrivit ses poésies latines (ci-après, p. 119, aux mots « à la Françoise »). Il n’en faut pas plus pour enlever au témoignage de Binet toute autorité, et faire rejeter l’anecdote comme une pure fiction.

Toutefois l’argumentation de Mlle Evers présente quelques points faibles, notamment en ce qui concerne l’ode de Ronsard A son retour de Gascongne voiant de loin Paris, publiée en janvier 1550 (Bl. II, 456). On ne peut tirer de cette pièce aucun argument pour déterminer la date et le lieu de la rencontre de Ronsard et Du Bellay.

D’abord la date de la composition de cette pièce n’est pas certaine. Il y a des raisons de croire qu’elle remonte à la deuxième moitié de 1547, aux environs du mois de septembre (présence de Dorat à Paris, allusion vague aux Œuvres poëtiques de Peletier, ambassade de Maclou de la Haye à Rome, irrégularité strophique) ; mais enfin ce n’est qu’une hypothèse, et si l’on était sûr que Ronsard n’a pas remanié sa première strophe au moment de l’impression, on serait tenté de la dater de 1549, car elle fait séjourner Ronsard depuis « cinq ans » à « Paris » comme étudiant (Paris s’oppose dans ce cas à la Cour ; cf. ci-dessus, p. 98, note sur les mots « avec Dorat »), et c’est précisément ce chiffre que Ronsard a donné ailleurs pour le temps qu’il passa à Coqueret. Cette pièce n’offre donc pas un appui solide au raisonnement.

En second lieu, de ce fait que Ronsard n’a pas nommé Du Bellay dans cette ode, peut-on conclure qu’il ne le connaissait pas quand il la composa ? Rien ne nous y autorise. D’une part, il pouvait avoir fait récemment sa connaissance, en passant par Poitiers à son retour de Gascogne, sans parler de cette rencontre dans son ode ; je pense même, étant donné le sujet de la pièce, qu’il n’avait pas à y parler de cette rencontre. D’autre part, il pouvait très bien l’avoir déjà rencontré à Paris, et le connaître même depuis longtemps, étant de son « parentage[1] », sans pour cela le nommer dans son ode parmi les nombreux amis (un « million », dit-il) qui vont lui faire fête à son retour à Paris. Antoine de Baïf, J. Martin, Bèze, Des Masures, Carnavalet, pour ne citer que ceux-là, ne sont pas nommés non plus ; pourtant Ronsard les connaissait bien, quelques-uns même depuis plusieurs années, et intimement, par ex. Baïf, son compagnon d’études depuis 1544. Aurait-on le droit de conclure qu’il ne les connaissait pas, de ce fait qu’il ne les nomme pas dans son ode ? Évidemment non ; l’argument a silentio n’a ici aucune valeur, en ce qui concerne Du Bellay. — Lorsque Ronsard écrivit son ode (admettons que ce soit en septembre 1547), connaissait-il déjà Du Bellay ? Le connaissait-il de fraiche date ou depuis longtemps ? L’avait-il rencontré à Poitiers, ou ailleurs, en revenant de Gascogne, ou bien étaient-ils entrés en relations à une date antérieure, au Mans, ou plutôt à Paris ? On aurait beau retourner l’ode en tous sens, on n’y trouverait pas la moindre réponse à ces questions.

  1. Les deux familles étaient en relations, à preuve la présence du père de Ronsard aux obsèques de Langey du Bellay au Mans.