Page:Binet - La Vie de P. de Ronsard, éd. Laumonier, 1910.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
142
COMMENTAIRE HISTORIQUE

Sainte, Francine) ; Ronsard les nomme donc de préférence à Saint-Gelais, qui n’avait rien fait de semblable. — Il est vrai que le sonnet de Saint-Gelais En faveur de Ronsard disparaît des liminaires des œuvres de Ronsard à partir de 1560 ; mais cela ne prouve rien contre Ronsard ; c’est peut-être la conséquence de la suppression du nom de Saint-Gelais dans le sonnet Pour celebrer des astres qui semble lui correspondre ; cela peut s’expliquer encore par l’amphigourisme du sonnet lui-même ou sa primitive destination (v. ci-dessus, p. 137, aux mots « une Palinodie »). — Il est vrai que l’Hymne des Astres, adressé en 1555 à Saint-Gelais, disparaît de l’œuvre de Ronsard ; mais c’est seulement en 1584 (non en 1560, comme le croit Mlle Evers), et parce qu’il faisait alors double emploi avec l’Hymne des Estoilles, composé en 1574 d’après la même source (un hymne de Marulle). — Quant à la reprise que Ronsard aurait faite en 1560 du texte primitif de la fin de son Hymne triumphal : « La tenaille de Mellin », au lieu de « Le caquet des envieux », variante introduite dans la 2e édition en 1552, — c’est une erreur, déjà commise par L. Froger, dont Blanchemain est responsable (v. ci-dessus, p. 125, note sur les mots, « ces vers »).

D’autre part, non seulement Ronsard a conservé dans toutes ses éditions l’ode de la réconciliation, Tousjours ne tempeste enragée, y compris ce serment solennel :

Dressant à nostre amitié neuve
Un autel, j’atteste le fleuve
Qui des parjures n’a pitié
Que ni l’oubli, ni le temps mesme,
Ni la rancœur, ni la Mort blesme
Ne desnou’ront nostre amitié...


et les deux strophes suivantes ; mais encore il a introduit dans un poème postérieur de trois ans à la mort de Saint-Gelais un très grand éloge de son ancien rival, auquel il n’était nullement tenu (v. ci-dessus, p. 125, note sur les mots « ces vers »).

On voit combien sont peu justifiées ces lignes de Mlle Evers (p. 183) : « Il est tout à fait clair que la paix qui avait été maintenue si longtemps fut une paix armée de la part de Ronsard, puisqu’après la mort de Mellin, quoiqu’il ne publie aucune nouvelle attaque contre lui, il en reprend une ancienne et supprime les preuves de leur réconciliation, comme pour montrer que sa vraie opinion sur son rival n’avait jamais changé. » — Que Ronsard se soit réconcilié par intérêt, qu’il ait vanté les mérites de Saint-Gelais pour se ménager la faveur de Henri II ou du Cardinal de Lorraine, ou même celle du vieux poète, dont le crédit était toujours puissant à la Cour, je l’accorde ; mais il ne s’ensuit pas qu’il n’ait pas été sincèrement réconcilié. Il est certain que Ronsard en la circonstance n’a pas été aussi désintéressé, ni par suite d’un cœur aussi « noble et benin » que Binet l’a cru et l’a dit ; mais il serait injuste de prétendre, par réaction contre l’opinion trop complaisante de Binet, que l’attitude de Ronsard à l’égard de Saint-Gelais après la réconciliation fut celle d’un hypocrite. Quant aux sentiments qu’il a pu avoir après la mort de Saint-Gelais, je ne suis pas éloigné de croire ce qu’en a dit G. Colletet d’après Scévole de Sainte-Marthe : « Ronsard