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ET CRITIQUE

trevue, où Ronsard cherche à consoler son ami, et qui se termine « avec des larmes de part et d’autre » par une suprême séparation)… Au mesme temps survindrent plusieurs notables hommes de la ville de Tours, qui l’avoient souvent visité depuis qu’il estoit arrivé à St-Cosme… Un peu apres donc qu’ils furent entrez le Prieur de St-Cosme (lapsus pour l’Aumônier ou le Sous-Prieur) qui les avoit conduits, prit la parole et luy dit… » (Suit l’entretien édifiant de Ronsard avec l’aumônier, puis à tous ses religieux.)

Quant à préciser le moment de la mort de Ronsard, Du Perron s’en est bien gardé dans l’une ou l’autre de ses rédactions. Il a préféré embellir son récit d’un dernier acte du poète, d’un geste d’artiste qui ne voulait pas « qu’il luy eschapast aucune parole indigne de l’esprit et de la bouche du grand Ronsard », et ajouter ces lignes plus oratoires que précises : « Et cela fait, inclina derechef sa teste sur le chevet de son lit pour reposer comme il avoit fait au precedent[1]. Helas ! à la mienne volonté que je peusse mettre icy fin à mes paroles, et que je ne fusse point obligé de poursuivre cette narration, et la continuer plus avant ! Car qui est-ce qui donnera de l’eau à mon chef, comme dit le prophete, et qui est-ce qui donnera des fontaines de larmes à mes yeux ? Qui est-ce qui, etc.. » Cf. le Ronsard de Bl., VIII, 207-212. — Deuxième raison de douter.

Restent deux témoignages, qui ne permettent pas seulement le doute, mais l’imposent, car ils ont une égale valeur et se contredisent. J. Velliard, qui s’était renseigné auprès de son « principal », J. Galland, le témoin des derniers moments de Ronsard, fait mourir notre poète le 27 décembre : « Sexto Cal. Jan. hinc illuc assumptus beatorum numerum auxit » (Laud. fun. II, in fine.). De Thou, qui n’avance rien à la légère et avait pu interroger non seulement Galland, mais encore Du Perron et Binet lui-même, avec lesquels il était en relations, fait mourir Ronsard le 28 : « Animam reddidit V Kalendas Januarias ». (Hist., liv. LXXXII, fin, éd. de 1733.)

En résumé, d’après Du Perron, Ronsard a vécu tout le jour du vendredi 27 décembre au moins ; d’après Velliard il est mort entre les 7 heures 1/2 du matin du 27 décembre et les 7 heures 1/2 du matin du 28. Il est donc vraisemblable que Binet a voulu dire de son côté que Ronsard mourut dans la nuit du 27 au 28. Mais alors que devient le témoignage de De Thou ? Il n’y a qu’un moyen de le faire coïncider avec les trois autres ; c’est d’admettre — ce qui n’est pas impossible — que De Thou, bien qu’il écrivît en latin, comptait les journées comme nous les comptons actuellement, de minuit à minuit, tandis que Binet, bien qu’il écrivît en français, les comptait à la romaine, c’est-à-dire à partir de 7 heures 1/2 du matin dans les derniers jours de décembre.

Dans ce cas, il n’y aurait aucune contradiction réelle entre les quatre témoignages. Mais encore faudrait-il admettre que Binet a entendu par l’expression « sur les deux heures de nuit du 27 » les 2 heures du matin du 28, — ce qui semble une façon bien peu romaine de noter

  1. Var. de 1597 et éd. suivantes : « un peu auparavant ».