Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 2.djvu/112

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estat, selon l’avis des plus intelligens, d’escouter d’autres gens que les Espagnols. Il est homme tenant et avare, vivant plus licentieusement que aucun homme que je connoisse. Il a un bastard, aagé de vingt ans ou environ, qu’il fait héritier de ses grandes richesses, comme pour estre son nepveu, estant sorti de lui et de sa sœur aisnée, qui gouverneroit tout absolument au païs de Gueldre sans sa cadette, qui vit de même façon avec son frère que son autre sœur[1]. On peut conjecturer qu’un homme n’est pas imprenable à ses intérests, qui ne l’a pas esté à des vices de ceste hauteur. Il peut disposer entièrement de la province de Gueldre, et est en estat de n’oser venir à Bruxelles, où le bruit est tout commun qu’on l’arrêteroit. »

Mais, à Bruxelles comme à Madrid, l’embarras était grand sur le parti à prendre à l’égard de Henri de Bergh. L’infante Isabelle ayant, d’après les ordres du roi, consulté là-dessus les marquis d’Aytona et de Mirabel, ces ministres trouvèrent qu’il y avait de fortes raisons de croire que le comte était coupable des trois choses dont on l’accusait, savoir : d’hérésie, d’inceste et d’intelligence avec les ennemis, mais qu’il serait difficile d’en avoir des preuves ; ils considérèrent, d’autre part, sa qualité, ses longues années de services, les charges qu’il occupait, l’autorité absolue qu’il exerçait dans la province de Gueldre ; la condition naturelle du pays, plus porté à détester le châtiment que les délits, surtout quand il procédait d’étrangers et s’exécutait contre un indigène ; enfin la situation des affaires publiques, et ils conclurent qu’il convenait de temporiser jusqu’à ce que les circonstances permissent d’agir autrement[2]. Ce fut le parti qu’adopta l’infante : aussi ayant su, dans l’été de 1630, du marquis de Leganès, que le comte lui avait témoigné la crainte d’être arrêté et privé de la charge de général de l’artillerie, elle manda au marquis de le tranquilliser, de l’assurer de la satisfaction qu’elle avait de sa personne, et de lui dire qu’il ne serait fait aucune nouveauté en ce qui le touchait[3]. Cependant Philippe IV lui retira le commandement de l’artillerie, en le nommant l’un des mestres de camp généraux de l’armée. Quelque temps après, il résolut de l’appeler en Espagne, pour l’y mettre à la tête de toute la cavalerie, et il chargea l’infante de le lui faire savoir[4] ; mais cette princesse s’en abstint, jugeant que le comte n’accepterait pas la situation qu’on lui ofirait dans la Péninsule, et ne voyant pas comment on pourrait l’obliger de l’accepter[5].

D’autres pensées agitaient, en effet, en ce moment l’esprit de Henri de Bergh : il ne songeait à rien moins qu’à renverser le gouvernement espagnol dans les Pays-Bas, et il avait trouvé, pour le seconder dans cette entreprise, un homme revêtu, comme lui, d’un des postes les plus élevés de l’État, comme lui avide de biens, et qui, de plus, étant perdu de dettes, avait besoin d’une révolution pour refaire sa fortune : nous avons nommé René de Renesse, comte de Warfusée, l’un des chefs des finances. Les circonstances paraissaient favorables aux vues des deux conspirateurs : l’incapacité des ministres et des généraux espagnols, les désastres qui en étaient résultés depuis le départ d’Ambroise Spinola, excitaient dans le pays un mécontentement universel[6].

Pour le succès de la conspiration, il fallait pouvoir compter sur les Provinces-Unies et sur la France. Après en avoir obtenu l’agrément du prince d’Orange, Warfusée, au commencement d’avril 1632, se rendit en secret à la Haye. Il passa huit jours dans cette rési-

  1. Dans le mémoire du religieux dont il est parlé plus haut, on lit : « Le comte aime ses deux sœurs d’un amour sans mesure, et l’opinion commune est qu’il a eu d’elles ses deux bâtards. Les apparecces en sont grandes. D’abord, jamais il n’a voulu donner à connaitre la mère de ces deux enfants ; seulement il dit que leur mère est une comtesse et aussi noble que lui ; ensuite ses sœurs aiment les enfants au-dessus de tout, etc. »
  2. Lettre de l’infante Isabelle à Philippe IV, du 9 mars 1630.
  3. Lettre de l’infante au roi, du 27 juillet 1630.
  4. Lettre du 17 janvier 1632.
  5. El conde Henrrique no ay aparencia que accepte la merced que V. Md le ha hecho, ni se le puede obligar á ello por muchas consideraciones. (Lettre d’Isabelle à Philippe IV, du 30 avril 1632.)
  6. Voy. t. I, pp. 390 et 689.