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VOYAGE D′UNE FEMME AUX MONTAGNES ROCHEUSES

les branches des pins qu’il casse net. Les éclairs brillent autour du sommet dévasté du pic de Long, et les chasseurs aventureux se divertissent à l’idée que, lorsque je vais aller me coucher, il me faudra sortir et affronter la tempête.

Vous allez demander qu’est-ce donc qu’Estes-Park ? Ce nom, à la désinence usitée pour nos paisibles comtés du Midland, suggère à l’esprit les tranquilles palissades d’un parc recouvertes de lichen ; une loge avec une femme qui fait la révérence, des daims fauves et un château du temps de la reine Anne. Tel qu’il est, Estes-Park m’appartient. Il n’est pas gardé et n’est la terre de personne ; il est à moi par droit d’affection, d’appropriation et d’appréciation ; à moi, parce que je fais miens ses levers et ses couchers de soleil incomparables, ses crépuscules splendides, ses midis brillants, ses ouragans violents et furieux, ses aurores sauvages, ses gloires de montagne, de forêt, de canyon, de lac et de rivière et parce que je grave tout cela dans ma mémoire. À moi aussi, et dans une acception préférable à celle du sportsman, ses wapiti majestueux qui jouent et se battent dans les pins, aux heures matinales, avec autant de sécurité que les daims sous nos chênes anglais. Ses gracieux « black-tails » au pied rapide, ses superbes big-horns dont on aperçoit de temps à autre, au sommet d’une roche colossale, le noble chef dont la tête classique se détache sur le bleu du ciel, sont également à moi. À moi, le lion des montagnes au hideux miaulement nocturne ; le grand ours gris, le beau skunk, le castor prudent qui toujours creuse des lacs, endigue et détourne les rivières, coupe les