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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

l’affreux soupçon qu’un esprit humain désolé et sans secours venait de passer dans la nuit. Un homme sortit avec un paquet de vêtements ; après lui, le jeune malade gémissant et sanglotant, et enfin un troisième, qui me dit avec un peu de compassion que celui qui venait de mourir était le seul frère du malade. Et cependant la maîtresse de l’hôtel continuait à rire et à causer ; elle me dit ensuite : « La maison est sens dessus dessous quand ils viennent mourir ici ; il va falloir passer la moitié de la nuit à l’ensevelir. » Le froid, qui était âpre, et les sanglots du pauvre frère m’empêchèrent de dormir. Le lendemain, l’hôtesse s’agitait dans une élégante toilette noire, toute fière du beau cercueil qui allait arriver. Lorsque j’entrai dans le parloir pour chercher une aiguille, elle balayait cette chambre, dont la porte était ouverte ; des enfants y entraient et en sortaient ; elle m’appela joyeusement, pour que je vinsse prendre ce que je demandais. Là, à ma gauche, — horreur ! — cette chose d’épouvante, le cadavre, était étendu sur quelques chaises que l’on n’avait même pas alignées ; on ne lui avait pas couvert le visage, et le soleil éclatait par la fenêtre sans rideaux. On l’enterra dans l’après-midi. Son frère continuait à sangloter et à gémir ; d’après sa mine, il lui reste peu de temps à vivre.

Les X… m’ont dit que beaucoup de gens arrivent aux Sources dans la dernière période de la phtisie, croyant que le climat du Colorado les guérira, et n’ayant pas assez d’argent pour payer la pension la plus détestable. Nous avons beaucoup causé ce jour-là, et je me suis fournie de snow-boots et de gants chauds pour mon voyage dans les montagnes ; j’ai donné à