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AUX MONTAGNES ROCHEUSES

âme. Il gagne de l’argent, va à Denver et dépense de grosses sommes dans les dissipations les plus insensées, répandant la terreur et dépassant encore des desperados tels que « Texas Jack » et « < Wild Bill » ; quand il n’a plus d’argent, il revient à son repaire dans la montagne, plein de haine et de mépris de soi-même, jusqu’à ce qu’il recommence. Je ne puis naturellement donner de détails. Il fut trois heures à me narrer son histoire pleine d’images terribles de la vie de desperado, racontée avec un flot d’éloquence sauvage vraiment très-émouvante.

Lorsque la neige, qui tombait depuis quelque temps, le força de s’interrompre pour me guider jusqu’à un endroit habité d’où je pouvais revenir seule, il arrêta son cheval et me dit : « Vous voyez maintenant un homme qui s’est donné au diable. Perdu ! perdu ! perdu ! Je crois en Dieu ; je ne lui ai laissé d’autre alternative que de me placer avec le démon et ses anges. J’ai peur de mourir. Vous avez remué trop tard ce qu’il y a de meilleur en moi, je ne puis changer. Si jamais homme a été esclave, c’est bien moi. Ne me parlez point de repentir ni de réforme, je ne puis me réformer. Votre voix me rappelle celle de… ; puis d’une voix fiévreuse : « Comment osez-vous monter à cheval avec moi ? Vous n’allez plus vouloir me parler, n’est-ce pas ? » Il m’a fait promettre, soit qu’il vive ou qu’il meure, de tenir une ou deux choses secrètes et j’ai promis, car je ne pouvais faire autrement ; mais parfois ces choses m’obscurcissent la lumière du soleil, et je me réveille la nuit pour y songer. Je voudrais que le chagrin et l’excitation de cette après-midi