Page:Bird - Voyage d’une femme aux Montagnes Rocheuses, 1888.pdf/236

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m’eussent été épargnés. Avec une nature moins passionnée, il n’aurait jamais parlé comme il l’a fait, ni raconté tout ceci ; son âme fière et orgueilleuse s’épanchait alors tout entière, avec la haine et le mépris de soi-même, les mains tachées de sang et le meurtre dans le cœur. Tandis qu’il me révélait avec tant d’emportement les côtés les plus sombres de son caractère, il était toujours gentleman et ne pouvait se départir de la séduction qu’il exerce. Lorsqu’il me quitta pour aller camper dans la Snowy Range pendant une quinzaine de jours, et qu’il s’éloigna dans la tempête aveuglante, mon cœeur se fondit de pitié en songeant à sa vie ruinée et perdue ; à cet homme doué d’un réel génie, de dons remarquables, et qui avait dans la vie toutes les chances qui ont été le partage d’autres hommes. Combien son exclamation : « Perdu ! perdu ! perdu ! » est plus terrible que le « Actum est ; periisti » de Cowper.

La tempête étant très-forte et les points de repère effacés, je perdis mon chemin dans la neige, et lorsque, après la tombée de la nuit, j’arrivai à la cabin, je n’y trouvai personne. Les deux chasseurs, ne m’ayant point vue à leur retour, étaient partis à ma recherche. Plus tard, la neige se dissipa et il gela très-fort.

Ma chambre étant faite de troncs d’arbres dont les interstices ne sont pas remplis, est presque en plein air ; aussi me faut-il y dormir comme si j’étais dehors, la tête ensevelie sous des couvertures, sans quoi l’haleine et les paupières gèleraient. Aujourd’hui, le soleil brillait, et j’ai fait une belle promenade à Black Ca-