Page:Bishop - En canot de papier de Québec au golfe du Mexique, traduction Hephell, Plon, 1879.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
163
chapitre dixième.

émergeait et mugissait le vieil Océan, qui, maintenant sous un ciel de plomb, semblait me gronder et me dire : « Attends, mon petit, que les vagues de la passe te jettent dans mes serres, et je t’ajouterai à mes autres victimes pour te punir de ta témérité. »

Après avoir étudié le courant, je ne lui trouvai pas trop mauvaise apparence ; quoique un fort jusant se précipitât à la mer, je pensai que si je traversais tout de suite, avant que la brise fraîchit, il n’y avait pas de risques trop désagréables à courir. J’attachai soigneusement la toile du bateau autour de ma taille, et je passai une sérieuse inspection des rames et des tolets. Puis, me promettant de réserver mes forces pour toutes les éventualités qui pourraient bientôt se produire, je me lançai d’une allure résolue dans la passe Hatteras. Il n’y avait aucun secours à espérer avant d’être arrivé à Styron, à deux milles de la grande terre, tandis que la côte de laquelle je me rapprochais était inhabitée, sur une distance de presque seize milles, jusqu’à un village situé à son extrémité sud, près de la passe Ocracoke.

En entrant dans les remous, je pensai aux requins, qui, au dire des pêcheurs d’Hatteras, venaient bien souvent s’en prendre à leurs rames, et les mettre en pièces ; et je me demandais en même temps si mes avirons, blancs et brillants dans l’eau, auraient la même puissance d’attraction que les hameçons argentés exercent sur les maquereaux. Ces aimables souvenirs me causaient une sensation particulière, qui m’envahissait malgré moi ; mais, pour me rassurer, j’essayai de me persuader que les requins avaient suivi les maquereaux