Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/37

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venait de la voir sortir du sein de la révolution, laissait subsister, au haut de la société, deux pouvoirs rivaux, c’est-à-dire ennemis, et n’ayant par cela même de force que pour s’entre-détruire. De là une cause de mobilité incompatible avec l’esprit de suite et l’inflexibilité systématique qu’exige l’accomplissement des vastes desseins. En limitant le pouvoir royal, en soumettant à un contrôle jaloux tous les détails de son existence, en lui donnant une assemblée turbulente à subir, à combattre ou à corrompre, la forme constitutionnelle créait au chef de l’état une situation difficile ; elle le poussait à sacrifier tout au désir de conserver la couronne. Un prince qui tient le sceptre en réserve pour son fils, ne saurait avoir à un degré suffisant l’abnégation et l’audace. Alors même qu’il ne serait pas égoïste comme homme, il l’est comme père de famille ; et tel est le vice des pouvoirs héréditaires. Mais combien cet inconvénient n’est-il pas plus grave lorsque le trône est pour ainsi dire lancé dans une perpétuelle tempête ?

Aussi bien, Louis-Philippe, par caractère et par position, n’était que le premier bourgeois de son royaume. Or, la bourgeoisie n’était nullement tentée par l’éclat des aventures héroïques. Composée en partie de banquiers, de marchands, d’industriels, de rentiers, de propriétaires paisibles et prompts à s’alarmer, elle appartenait presque tout entière à la peur de l’imprévu. La grandeur de la France, pour elle, c’était la guerre et dans la guerre elle ne voyait que l’interruption des relations commerciales, la chute de telle ou telle industrie, des