Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/334

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fenêtres du quartier général, la mort s’abat au milieu de la colonne. Alors une frayeur inexprimable s’empare des assaillants, ils prennent la fuite, gagnent les quais et se dispersent dans toutes les directions, jetant au loin, les uns leurs schakos, d’autres leurs armes.

Ainsi, au milieu de cette cité de plus d’un million d’habitants, dans le quartier le plus populeux de Paris, à la face du soleil, on vit soixante citoyens défier un gouvernement, tenir en échec une armée, parlementer, livrer bataille. Et pendant ce temps, ceux qui auraient voulu leur porter secours restaient condamnés au tourment de leur impuissance. Plusieurs furent aperçus autour de ces quartiers funestes. La tête baissée, l’air morne et des pleurs dans les yeux, ils erraient livrés au deuil muet de leur âme, et quelquefois ils s’arrêtaient avec angoisse pour écouter le bruit de la fusillade et les sons inégaux du tocsin. Car la fortune leur refusait l’occasion d’un dévouement utile à leurs amis. Il est, dans la mêlée des passions politiques, une heure suprême où se fixe le sort des empires. Cette heure précieuse, décisive, les républicains l’avaient perdue ; et maintenant ils rencontraient sur leur chemin non-seulement les hommes qu’animaient contre eux de loyales inimitiés, mais encore cette immense foule, cette foule inexorable d’êtres vils pour qui la défaite est un crime et le malheur une proie. D’ailleurs, nul centre où les républicains désormais se pussent rallier, nul chef pour les conduire : partout des soldats, partout des traîtres, des ennemis partout ! Et telle était déjà la confiance