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LITTÉRATURE.


mencement des choses, mais qu’eUe ne s’est révélée aux hommes qu’à une heure donnée du temps.

Dans l’antiquité classique, c’est-à-dire en Grèce et à Rome, le mystère s’est accompli, le verbe est devenu chair et a pris une personnalité bien distincte. La littérature séparée de son bercean divin commence une vie profane en dehors du sauctuaire ; le sage est distinct du prêtre, le poète est distinct du prophète, l’historien est distinct de l’homme de guerre et d’action. Plus les siècles s’écoulent et plus cette individualité devient nette et tranchée. En Grèce la littérature de la grande époque se rattache tout entière à l’inspiration héroïque des poëmes d’Homère et conserve encore dans sa liberté quelque chose de sacerdotal et de sacré ; mais à Rome ce caractère disparalt entièrement ou ne se laisse apercevoir que dans le souvenir des oeuvres perdues d’époques à demi fabuleuses. Là le poëte, l’historien, le sage sont aussi séparés déjà de toute influence sacerdotale qu’ils le sont dans notre moderne civilisation. Ce sont de simples individus qui ne relèvent que d’eux-mêmes, de leur propre inspiration, de leur propre conscience, et qui s’attribuent le droit, en vertu de cette inspiration et de cette conscience, de juger les actions des hommes de leur temps, et de peser autant qu’ils peuvent sur leurs décisions. L’homme de lettres moderne est déjà trouvé, la littérature a revêtu la forme qu’elle ne quittera plus. C’est à Rome et non en Grèce que la littérature a pris son caractère dénnitif, celui sous lequel nous la connaissons, celui sous lequel la connaitront désormais les hommes de tons les temps jusqu’à la consommation des siècles. C’est là seulement qu’eue a revêtu son costume profane, laïque, c’est là que de sa propre autorité elle s’est instituée souveraine et juge.

Sons cette deuxième forme, la littérature a rendu à l’humanité les plus grands services, et encore aujourd’hui, nous, les derniers nés du temps, nous vivons en partie de ses bienfaits. Cependant son influence fut beaucoup plutôt intellectuelle que politique. Elle eut pouvoir sur les individus plutôt que sur l’ordre général des choses ; les caractères et les intelligences lui durent beaucoup, les faits lui durent p°u. En revanche, cette action ainsi bornée eut sur l’individu un empire qu’elle n’a jamais retrouvé au même degré. Plus tard la littérature a bien pu pénétrer les masses, mais elle n’a pu exercer la même influence sur chacun des individus qui les composent. L’opinion qu’elle donnait à l’homme, s’imposait à lui et s’emparait de lui tout entier, tandis que, de nos jours, nos opinions peuvent très-aisément être séparées de nos personnes. Dans l’antiquité, tout stoïcien était stoïcien, tout épicurien était épicurien, tout péripatéticien était péripatéticien depuis l’intelligence jusqu’aux mceurs, depuis l’àme jusqu’au CŒùr, depuis la manière de manger et de saluer jusqu’à la manière de comprendre et de supporter la vie, de Jouir de ses biens et de lutter contre sesmanx. Une force morale nouvelle, la plus considérable que le monde ait jamais connue, le christianisme se chargea d’exercer sur les masses cette action bienfaisante que la littérature antique avait été impuissante à leur faire sentir. Alors commença la période du moyen ngc pendant laquelle la littérature recommença toute son histoire, ou pour mieux dire, la continua, en la recommençant, car pendant toute cette période, il n’y eut pas, quoi qu’on ait dit, de solution de continuité dans la marche de l’esprit humain. La littérature revécut à cette époque les deux existences de son histoire passée, non successivement, mais simultanément. Elle fut sacerdotale et guerrière et en même temps laïque et profane. Elle se confondit avec la religion et l’esprit de caste, tout en gardant son individualité. L’étrangeté du moyea âge, ce qui fait pour nous aujourd’hui son originalité, ce qui lui donne son caractère poétique, c’est précisément cette juxtaposition presque toujours inconcevable et quelquefois contre nature de toutes les formes du passé, depuis. celles des civilisations les plus naïves, jusqu’à celles des sociétés les plus rafEnées. Ce qui est nouveau dans le moyen âge, ce ne sont pas les éléments dont il est composé, c’est l’alliance de ces éléments. La littérature eut donc simultanément, pendant cette période, les deux caractères qu’elle avait eus successivement dans l’antiquité.

Au quinzième siècle, la littérature retrouva sa forme véritable et put recommencer l’histoire glorieuse qu’elle avait eue déjà en Grèce et dans l’antique Italie. Mais quelque puissant que fùt le mouvement de la Renaissance, il est douteux qu’il eût sud pour donner à la littérature l’action décisive qu’elle a conquise dans les temps modernes, si le hasard d’une découverte imprévue n’était pas venu en aide à l’esprit humain. Il est plus que probable, en effet, que, sans l’imprimerie, le mouvement de la Renaissance n’aurait abouti qu’à une répétition de [’histoire littéraire de la Grèce et de Rome. L’influence de la littérature se serait comme autrefois fait sentir aux individus seulement elle aurait marché avec la même lenteur que pendant les siècles passés. L’imprimerie lui prêta des ailes. Par elle la Renaissance se communiqua des peuples héritiers naturels de la Grèce et de Rome aux peuples encore à demi barbares du reste de l’Europe, par elle la Réforme fut possible, par elle le règne de la parole ~ay~e, delà tradition orale, fut détruit. En plaçant sous les yeux des populations les documents de leur histoire religieuse, elle inaugura le règne de la religion individuelle, et fit chaque homme juge et critique de la foi. Jusqu’alors l’homme avait été instruit directement par l’homme, la parole avait été souveraine ; l’imprimerie rendit inutile cette communication directe matérielle de la chair avec la chair, et détruisit la puissance nécessairement bornée de la pensée parlée. Des signes muets qu’on peut multiplier autant qu’on le veut, font désormais de la pensée de chaque individu la. propriété de tons les hommes. Alors tout change