Page:Bloy - Belluaires et porchers, 1905.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Peut-être même ne le pourrait-il pas, tant la première impulsion d’antipathie l’a porté loin.

Moi-même, qui ne parle ici de ce grand homme qu’en balbutiant et en frémissant, je confesse, pour la seconde fois, qu’au début de ma misérable carrière, il m’arriva de l’insulter un jour, sans même l’avoir lu, me tenant pour suffisamment édifié par quelques menus potins. S’il en est ainsi de ceux qui semblent faits pour le comprendre, que doit-il espérer des autres ?

Verlaine est, je crois, le plus déchirant exemple que nous ayons sous les yeux de la vindicte éternelle des brutes contre les entités supérieures. L’acharnement dont il est victime dépasse même de beaucoup les plus insensés d’entre les goujats espoirs et je n’ai pu trouver, parmi les horreurs sublunaires, que la condition de lépreux pour donner une analogie telle quelle du châtiment de ce réprouvé. C’est une espèce de Caïn de l’extase errant et pourchassé sur la terre, pour son crime d’avoir égorgé, par sa conversion, la jumelle arsouille qu’il portait en lui et pour le forfait plus énorme encore d’en avoir pleuré de joie dans des vers sublimes que la racaille des sacristies ne comprend pas plus que le populo des salons aristocratiques ou des lupanars de faubourg.

Après tout, c’est une moderne façon de martyre plus méritoire peut-être que les tenailles rougies ou la lampadation des Dioclétiens, et le prédestiné paraît heureusement s’en être aperçu :