Page:Bloy - Histoires désobligeantes.djvu/51

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ne pus m’empêcher de le comparer à un opérateur ou à un bourreau sur le point de fonctionner. Analogie dont j’étais infiniment loin de soupçonner la rigueur.

Deux grogs étaient préparés et, sur la table, grand ouvert devant l’une des deux chaises, le manuscrit redoutable s’étalait.

Le temps était doux, par bonheur. S’il avait fait trop froid ou trop chaud, je pouvais très bien mourir cette nuit-là, les plus claires précautions ayant été prises pour que je comprisse l’inutilité absolue d’une tentative d’interruption, quelque courte et légitime qu’elle fût.

— La Fille de Jephté ! drame biblique en cinq actes, commença-t-il, me fixant d’un œil implacable.

L’exercice, d’abord, ne me déplut pas. Le lecteur avait une voix bizarre de gastralgique, s’élevant sans effort des basses profondes aux notes enfantines les plus aiguës. Il parlait ainsi et jouait véritablement son drame, multipliant les gestes jusqu’à se précipiter à genoux pour une prière, quand la situation l’exigeait. Curieux spectacle qui m’amusa pendant une heure, c’est-à-dire pendant tout le premier acte seulement ; car le monstre poussait la conscience jusqu’à recommencer plusieurs fois des scènes entières dont il craignait de ne m’avoir pas fait sentir toute la beauté, sans qu’aucune admirative protestation pût le rassurer.