Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/104

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m’élancer, malgré la tempête et les conseils, j’étais indiciblement transporté !

Que vous dirai-je ? Quand je fus au sommet et que j’aperçus la Mère assise sur une pierre et pleurant dans ses mains, auprès de cette petite fontaine qui semble lui couler des yeux, je vins tomber aux pieds des barreaux et je m’épuisai de larmes et de sanglots, en demandant grâce à Celle qui fut nommée : Omnipotentia supplex. Combien dura cette prostration, cette inondation du Cocyte ? Je n’en sais rien. À mon arrivée, le crépuscule commençait à peine ; quand je me relevai, aussi faible qu’un centenaire convalescent, il faisait complètement nuit et je pus croire que toutes mes larmes étincelaient dans le noir des cieux, car il me sembla que mes racines s’étaient retournées en haut.

Ah ! mes amis, que cette impression fut divine ! Autour de moi, le silence humain. Nul autre bruit que celui de la fontaine miraculeuse à l’unisson de cette musique du Paradis que faisaient tous les ruissellements de la montagne et parfois, aussi, dans un grand lointain, les claires sonnailles de quelques troupeaux. Je ne sais comment vous exprimer cela. J’étais comme un homme sans péché qui vient de mourir, tellement je ne souffrais plus ! Je brûlais de la joie des « voleurs du ciel » dont le Sauveur Jésus a parlé. Un ange, sans doute, quelque séraphin très patient avait décroché de moi, fil à fil, tout le tramail de mon désespoir, et j’exultais dans l’ivresse de la Folie sainte, en allant frapper à la porte du monastère où les voyageurs sont hébergés.