Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/214

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justes cieux ! pourquoi ? Diras-tu que c’est parce qu’il fut le plus grand ou l’unique musicien d’un siècle qui a entendu Beethoven ? Vraiment j’ai peine à le croire. Prétendras-tu, au mépris de ma face, que ses insupportables poèmes puissent être lus par un homme qui fait quelque usage de la licence de ne pas périr d’ennui ?

Tu as, depuis longtemps, arrêté dans tes conseils que le monstrueux amalgame de christianisme et de mythologie scandinave présenté par cet Allemand n’est rien moins que le déchirement du voile des Cieux. La magnificence divine fut ignorée sur la terre avant Tannhæuser et Lohengrin, voilà qui est bien entendu, n’est-ce pas ? et cet antique frémissement de l’Esprit-Saint à travers les os des morts qui fut toute la mélodie religieuse du Moyen Âge doit céder, sans doute, au contre-point fracassant de ton enchanteur… On assure, mon cher poète, que tu possèdes une intelligence merveilleuse de la musique, aussi bien que de tel autre de ces prestiges par lesquels on espéra, dans tous les temps, de récupérer quelque rayon pâle de la Substance. Étranger à tous les grimoires de l’art et plus étranger, s’il est possible, à tout rituel de discussion, je serais donc mal venu d’engager avec toi un corps à corps esthétique. Mais, je le confesse, il est au-dessus de mon pouvoir d’endurer que le dramaturge lyrique, dont la génération nouvelle est en train de s’affoler, soit tenté par toi comme le Fils de Dieu lui-même, lorsque Satan, l’ayant porté sur la plus haute montagne, lui montra tous les royaumes du monde et toute leur gloire.