Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/238

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lesquelles ces tourmenteuses auraient pu pénétrer dans son âme. Depuis plusieurs mois qu’elle mangeait à la pension, elle ne disait rien, ne voyait rien, n’entendait rien. Elle s’était enfermée dans sa volonté comme dans une tour.

Pourquoi donc, alors, n’aurait-elle pas enduré les conjectures ou les soupçons outrageants, aussi longtemps que la haine basse dont elle se sentait enveloppée ne serait pas incompatible avec sa paix intérieure ? Elle avait, d’ailleurs, pour elle-même aussi peu d’estime qu’une femme en peut avoir et trouvait infiniment naturel de ne pas en inspirer. Aux fréquentes questions que lui faisait Gacougnol, elle avait invariablement répondu avec assurance que rien ne manquait à son bien-être et, vraiment, elle pensait ainsi.

Cette fois, pourtant, l’injure était si flagrante qu’il lui parut difficile de la dévorer, et un peu d’héroïsme lui fut nécessaire pour se borner à répondre que Gacougnol lui avait fait l’honneur de l’admettre à une soirée d’artistes où figuraient de non moindres personnages que Folantin et Bohémond de l’Isle-de-France.

Vengeance infaillible. L’institutrice déplumée, folle de gloire et qui ne pouvait attirer chez elle que des reporters ou des poètes de concours, aurait accompli des actes de vertu pour obtenir une telle faveur.

Clotilde ne se résolut à ouvrir sa lettre que lorsqu’elle se fut retirée dans sa chambre. Elle n’espérait aucune consolation de cette lecture et la nuit affreuse qui avait