Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/273

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d’une amante et d’une sœur, indistinctement effroyables, il n’y avait plus devant moi qu’une existence de torturé.

Devenu soldat, je sollicitai les postes les plus dangereux, espérant me faire tuer pour en finir vite, et me battis en déchaîné. Je ne réussis qu’à obtenir de l’avancement.

Un jour, mon cancer me faisant souffrir plus que jamais, je courus me cacher au fond d’un bois et, d’une main ferme, le canon du revolver à la tempe, je tirai comme sur une bête enragée. Vous pouvez voir ici la cicatrice qui n’a, certes, rien de glorieux… La mort ne voulut pas de moi et n’en a jamais voulu. Pourtant je vous assure qu’aucun misérable ne l’a plus avidement cherchée.

Vers le commencement de l’odieuse campagne franco-allemande, on me fit officier pour me récompenser de l’acte de démence que voici.

Une batterie très meurtrière nous écrasait. Avec une promptitude inconcevable, incompréhensible, j’attelai quatre chevaux à une voiture d’ambulance qui attendait son chargement d’estropiés. Aidé de deux hommes que j’éperonnais de ma folie, je fis avaler par force à chacun de ces animaux cabrés de terreur une énorme quantité d’alcool, puis, bondissant sur le siège et sabrant les croupes, j’arrivai en quelques minutes, comme la foudre et la tempête, sur les fourgons bavarois que je réussis à faire sauter. Il y eut une espèce de cataclysme où plus de soixante Allemands laissèrent leurs carcasses. Et moi, qui aurais dû être foudroyé le premier, réduit en charpie, je fus retrouvé, le soir, à peine contusionné, sous un magma