Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/28

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avec l’immonde Chapuis avait été une femme assez aristocratiquement belle, supérieure par comparaison aux milieux ouvriers dans lesquels elle avait toujours vécu.

Fille d’une ravaudeuse quelconque et d’un père inconnu, elle s’était trouvée, à dix-huit ans, soudainement accommodée d’une petite fortune et mariée presque aussitôt à un respectable industriel de la rue Saint-Antoine.

Il est vrai que l’éducation première avait manqué d’une façon indicible. Ayant à peine connu sa mère prématurément ravie à la prostitution clandestine, elle avait été recueillie et adoptée par une matelassière de Montrouge.

Cette marâtre, suscitée par l’influence probable du fameux « prince », l’éleva soigneusement, dans la rue. Elle n’aurait pu, d’ailleurs, lui conférer, avec des gifles quotidiennes, que sa personnelle expérience du crin végétal et de la filasse, initiation que ne mentionnait pas, sans doute, le programme d’études.

Elle envoya donc l’enfant à l’école où les acquisitions de ce jeune esprit ne dépassèrent pas, en plusieurs années, l’art d’écrire sans orthographe et de calculer sans exactitude. Mais la vase de divers égouts n’eut pas de secrets pour elle. Le biceps arithmétique ne devait se développer que plus tard, c’est-à-dire à l’arrivée de l’argent.

Lorsque ce visiteur fut annoncé, sous la réserve conditionnelle de l’acceptation d’un certain mari, la touchante vierge lacédémonienne, oublieuse des renards qui avaient pu ravager son flanc, découvrit en elle, tout à coup, les germes auparavant ignorés de la plus âpre vertu, et le négociant