Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/290

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s’était couché à tâtons et le matin, la clairvoyance revenue, s’était borné à en parler avec insouciance, affectant de croire que c’était une chose très simple qui ne valait pas qu’on s’en mît en peine. Silencieusement, Clotilde se prépara à souffrir.

Bientôt, en effet, les troubles reparurent. Un spécialiste consulté prononça que tout travail d’enluminure devait être interrompu, qu’il fallait même y renoncer absolument, sous peine de cécité.

Ce fut un très rude coup. Léopold aimait passionnément son art, cet art, qu’il avait créé, ressuscité, qu’il avait forcé de reparaître vivant et jeune, quand on le croyait si mort que le souvenir même s’en effaçait. Elle était tellement à lui, cette peinture qui remontait l’escalier des siècles et qui ressemblait aux rêves d’un enfant profond !

Qu’allait-il faire maintenant ? Depuis plusieurs années, il ne subsistait que de son pinceau et n’avait jamais songé une minute à « réaliser des économies ». Ah ! oui, des économies ! Les puissances inférieures, les salopes et implacables puissances dont se prévaut, contre les cœurs solitaires, l’identique bassesse du Nombre, ne pardonnent pas. Elles ont des représailles sûres et mortelles. Léopold cessant de peindre, la misère se jeta sur lui, comme les bêtes gluantes sur un beau fruit mûr que le vent a détaché de sa tige.

Il fallut, presque immédiatement, chercher quelque autre moyen de vivre. Les démarches affreuses commencèrent. Plus de recueillement, plus de paix érémitique.