Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/30

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Car, il est temps de le déclarer, cette personne vraiment ineffable était, avant tout, une âme poétique. Le trésor de poésie qui gisait en elle lui avait été révélé par quelques Méditations de Lamartine, qu’elle appelait « son divin Alphonse », et par deux ou trois élégies farinières de Jean Reboul, telles que L’Ange et l’Enfant : « Charmant enfant qui me ressemble… la terre est indigne de toi. » Quand elle eut une fille, après deux ans de mariage, ce bégueulisme s’exaspéra jusqu’à produire la plus haïssable et la plus rechignée de toutes les pécores. En conséquence, le quartier était unanime et n’avait qu’un cri pour célébrer l’impeccable rigidité de ses mœurs.

Une fois, pourtant, l’envié Maréchal surprit sa femme en compagnie d’un gentilhomme peu vêtu. Les circonstances étaient telles qu’il aurait fallu, non seulement être aveugle, mais sourd autant que la mort, pour conserver le plus léger doute.

L’austère matrone, qui le cocufiait avec un enthousiasme évidemment partagé, n’était pas assez littéraire pour lui servir le mot sublime de Ninon : « Ah ! vous ne m’aimez plus ! vous croyez ce que vous voyez et vous ne croyez pas ce que je vous dis ! » Mais ce fut presque aussi beau.

Elle marcha sur lui, gorge au vent, et d’une voix très douce, d’une voix profondément grave et douce, elle dit à cet homme stupéfait :

— Mon ami, je suis-t-en affaires avec Monsieur le Comte, allez donc servir vos pratiques, n’est-ce pas ? Après quoi elle ferma sa porte.