Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/328

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Souvent l’ex-mandarine du plumart condescendait, ainsi qu’une châtelaine propice, à des confabulations dans la rue, avec les crieurs de poisson ou les vendeurs de légumes, dont le mercantilisme s’exaltait jusqu’à lui passer la main sur la croupe. C’était sa manière de notifier à tous les superbes son indépendance et sa largeur d’âme.

Cheveux au vent, dépoitraillée, paquetée d’un jupon rouge fendu par derrière en éventail, nonchalamment appuyée sur la roulotte, parfois même à califourchon sur le brancard, et les bas en spirale tombant sur des pantoufles éculées, elle s’abandonnait alors, crasseuse et fière, aux regards explorants du populo.

Ses propos, d’ailleurs, étaient sans mystère, car elle gueulait, s’il est permis de le dire, autant qu’une vache oubliée dans un train de marchandises.

Le mari, beaucoup moins altier, faisait les chambres, la cuisine, lavait la vaisselle, cirait les chaussures, repassait le linge, le reprisait même au besoin, sans préjudice de ses affaires contentieuses, qui lui laissaient heureusement assez de loisir.

Les immigrants, occupés surtout de guérir les épouvantables plaies de leurs cœurs, ignorèrent assez longtemps ce poème. Ils ne parlaient à personne et n’avaient encore rencontré que les Poulot, dans lesquels il aurait fallu marcher pour paraître ne pas les voir. Puis, comme tous les évadés, ils pensaient avoir laissé derrière eux le démon de leur infortune et ne s’étaient pas avisés de prévoir qu’il galoperait en avant comme un fourrier.