Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/54

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abandon de sa propre chair pouvait être sans péché, comment avaler le dégoût d’une innocence plus dégradante, lui semblait-il, que le péché même ?

Que dirait le « Missionnaire » ? Que dirait-il, ce beau vieillard qui avait si bien vu qu’elle agonisait de la soif de vivre ?… Le souvenir de cet inconnu la fit pleurer silencieusement dans l’ombre.

— Hélas ! pensait-elle, il aurait grande pitié de son enfant, il me sauverait, sans doute ! Mais vit-il encore, seulement ? depuis tant d’années, et dans quel endroit du monde peut-il être, vivant ou mort ?

Elle se prit alors à songer, comme font les malheureux, à tous les sauveurs possibles que peut rencontrer une créature au désespoir et qui, jamais, au grand jamais, ne sont rencontrés par personne !

Elle se souvint d’une image qu’elle avait admirée autrefois, dans la boutique du doreur, et qu’elle eût été ravie de posséder. Cette image représentait une scène de mauvais lieu, quelques hommes à figures de malandrins, assis et buvant avec des filles crapuleuses. À droite, l’un des murs de cette caverne avait disparu pour faire place à une vision lumineuse. Le doux Christ galiléen environné de sa gloire, tel qu’il apparut à Madeleine au jardin de la Résurrection, se tenait immobile dans la clarté, sa Face douloureuse exprimant une pitié divine, et tendait ses mains pleines de pardon à l’une des femmes, une toute jeune fille qui s’était détachée du groupe et se traînait sur ses genoux, en l’implorant avec ferveur.