Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/60

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et pleure volontiers sur son piano, en chantant des niaiseries, d’une voix très belle.

Gascon toulousain et fort en gueule, frotté d’ail et d’esthétique, artiste par la racine et jocrisse par la frondaison, barbu comme un Jupiter Pogonat et coiffé dans les ouragans, il affecte habituellement la brutalité sublime d’un Encelade ravagé.

Nul ne parvint jamais à détester ce bon garçon, aussi incapable de méchanceté que de modestie et dont le réel talent, stérilisé par la dissémination perpétuelle de sa fantaisie, ne peut offusquer personne. Il attendrit, d’ailleurs, et désarme complètement les camarades les plus anfractueux ou les plus retors par la surhumaine cocasserie de quelques-unes de ses conceptions.

Au coup de sonnette, il vint ouvrir en personne.

— Qu’est-ce que vous voulez, vous, encore ? cria-t-il, voyant une femme en cheveux au seuil de son atelier. C’est toujours la même chose, n’est-ce pas ? Votre mari a toujours son fameux rhumatisme articulaire qu’il a pincé en réparant l’obélisque, et vous avez certainement cassé le biberon de votre petit dernier. Voilà le quatorzième que je paie depuis un mois !… Ah ! jour de Dieu ! vous n’êtes pas étouffés par l’imagination, du côté des Ternes. Enfin, entrez tout de même, je vais voir si j’ai de la monnaie… Eh ! bien, mon gentilhomme, tu peux te vanter d’en avoir de la chance d’être un salaud et de ne jamais donner un sou à personne. On ne t’embête pas.

Cette additionnelle congratulation s’adressait à un