Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/84

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Je sens que vous ne devez pas mentir et je vous croirai. S’il y a quelque circonstance que vous ne vouliez pas ou que vous ne puissiez pas me dire, je vous en prie, ne mettez rien à la place. Deux lignes de points et passez outre. Voulez-vous ?

Et il enveloppa d’un regard avide cette Singulière qui déconcertait son expérience.

Clotilde l’avait écouté avec une émotion qui faisait battre ses artères. D’abord, une aspiration brusque lui avait entr’ouvert la bouche, comme si quelque vision passait devant elle, puis une fumée rose avait paru flotter un instant sur son visage et maintenant, elle regardait Gacougnol d’une manière si vraie, si candide qu’un rayon de lune, semblait-il, aurait pu descendre jusqu’à son cœur.

— J’y pensais, répondit-elle simplement.

Puis, vidant d’un trait sa petite coupe de vieux Corton et posant sa serviette sur la table après s’être essuyé les lèvres, elle se leva et vint s’asseoir sur le divan rouge à côté du peintre qui l’avait placée devant lui, en pleine lumière, pour l’étudier à son aise.

— Monsieur, dit-elle gravement, je crois, en effet, que vous avez été mis sur mon chemin par la volonté divine. Je le crois profondément. Je suis très sûre aussi que nul ne sait jamais ce qu’il fait, ni pourquoi il le fait, et j’ignore même si quelqu’un pourrait dire, sans craindre de se tromper, ce qu’il est exactement. Vous parliez d’un ami, d’un « vieil ami » que j’aurais pu perdre et que je croirais retrouver en vous. Cette parole était bien étonnante pour