Page:Bloy - La femme pauvre.djvu/86

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formes pures de sa pensée, n’était presque rien de plus qu’un rappel constant des humbles choses de la nature qu’elle avait pu voir.

Cette Primitive se peignait naïvement elle-même avec les couleurs en très petit nombre qu’elle possédait, sans égard aux lois perspectives et aux différentes valeurs, ne craignant pas de faire avancer monstrueusement un horizon ou d’éclabousser de lumière certains points obscurs. Mais, toujours, elle apparaissait lointaine, minuscule, obombrée, comme exilée de son propre drame, — errante et perdue dans des sillons noirs, une petite lampe à la main.

Parfois, cependant, elle avait des mots étranges qui déchiraient ainsi que des éclairs, le fond de son âme : — J’ai cherché l’amour comme les mendiants cherchent les vipères ! — Quand j’ai frappé monsieur Chapuis, j’ai cru qu’il me poussait un chêne dans le cœur !… Et c’était tout. La transparente rivière continuait à travers les bocages de mancenilliers ou les clairières dangereuses de son récit.

Rien ne fut omis. Sa chute vulgaire fut racontée sans excuse, avec toutes les circonstances qui pouvaient la faire détester. Elle montra sa mère telle qu’elle était, sans amertume ni ressentiment, rappelant même deux ou trois conjonctures anciennes où cette sorcière avait paru l’aimer sans calcul.

Enfin, elle ondoya de la plus insolite poésie son auditeur, à qui elle apparut telle qu’une incroyable virtuose du Renoncement chrétien.