Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/204

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les deux touffes peintes en blond de diarrhée, qui lui garnissaient les tempes, resserra, autour de son torse de coléoptère, le cordon à sonnette d’une robe de chambre couleur firmament pisseux, et revenant à marche forcée du fond de la pièce, où l’avait lancé la première commotion :

— Vous arracher les dents ! s’écria-t-il, — subitement animé, jaillissant, presque humain, — toutes-les-dents ! Ah ! çà, mademoiselle, ai-je mal entendu, ou suis-je assez comblé de disgrâce pour que vous ayez le dessein de vous moquer de moi ?

Véronique se découvrit la tête :

— Et cela, monsieur, qu’en pensez-vous ? Est-ce une plaisanterie ? Je le répète, je veux me débarrasser de mes dents comme je me suis débarrassée, ce matin, de mes cheveux. Cela est absolument nécessaire, pour des raisons que je n’ai pas à vous dire. Je me suis adressée à vous, parce que je craignais qu’un dentiste ordinaire ne voulût pas. Vous devez me connaître, je suppose. Personne ne saura jamais que je suis venue ici. J’ai trois louis à vous offrir pour une opération qui ne prendra pas deux heures, et je vous ferai cadeau de mes dents par-dessus le marché. Il me semble que vous n’aurez pas fait une trop mauvaise journée. Si cela ne vous va pas, bonsoir, je vais ailleurs. Est-ce oui ou non ?

La dispute fut longue, cependant. Jamais ce misérable Nathan n’avait été secoué d’une si rude sorte. Il voyait bien que Véronique n’était pas folle, mais il ne pouvait concevoir qu’une jolie fille voulût se faire laide. Cela renversait toutes ses idées. Puis, il y avait, dans cette pourriture d’homme, un coin phosphoré qui n’était peut-être pas absolument exé-