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Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/244

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souffrir. Interprétant les naïvetés de sa tendresse par le zèle indiscret d’un satanique orgueil, ces bestiaux consacrés ne voyaient rien de mieux à faire que de l’accabler sans cesse de son passé, les uns avec véhémence, les autres avec ironie, et ces derniers étaient de beaucoup les plus cruels.

L’ironie est, à coup sûr, l’arme la plus dangereuse qui soit dans la main de l’homme. Un écrivain, redoutable lui-même par l’ironie, nommait cet instrument de supplice « la gaîté de l’indignation », fort supérieure à l’autre gaîté qu’elle fait ressembler à une gardeuse de dindons. Mais, que penser de l’ironie d’un cuistre niaisement indigné de l’inobservation d’une étiquette ou d’un rudiment, et rendu tout fort par l’humilité d’un repentir que sa sottise lui fait prendre pour de l’abjection ? — car la préséance évangélique de l’unique pénitent sur une multitude de justes sans taches n’est, aux yeux de tout vrai sulpicien, qu’une bonne blague sans application pratique. Beaucoup de prêtres utilisent donc avec succès cet heureux moyen de dégoûter de leurs personnes et du sacrement qu’ils avilissent. La pauvre fille, résignée à tout, en fut néanmoins crucifiée dans le fond du cœur. Silencieusement, elle savoura cette avanie, comme une sainte qu’elle était, et Marchenoir n’en connut par elle absolument rien.

À la fin, pourtant, elle avait mis la main sur un brave homme de missionnaire qui l’avait à peu près acceptée telle qu’elle était. L’expérience de la cohabitation fraternelle en était à son dix-huitième mois de la plus concluante innocence. Le rouge grief, qui avait attiré tant de pudiques taureaux, s’éteignait enfin, et la paix venait de commencer, quand arriva