Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’augural vicomte Nestor de Tinville, le doctrinaire épicurien de la grande presse, qui s’étalait là. On peut défier de mettre la main sur un cuistre plus exaspérant. Il est, à l’heure actuelle, un des types les plus accomplis de cette intolérable ventrée de journalistes oraculaires dont Prévost-Paradol fut le prototype.

Rien ne saurait s’accomplir dans le monde sans la volonté de Dieu, mais sous la réserve des considérants préalables du noble vicomte. Il est le vrai sage affermi sur une expérience de granit, par conséquent, dispensé de toute invention, de tout style, et même de toute écriture. Il a pour lui la sagesse, rien que la sagesse. Il est celui qu’on ne trompe pas. La sagesse est son grand ressort. Si vous lui refusez la sagesse, vous l’assassinez. Quand les filandiers vulgaires ont pâli longtemps sur un écheveau, il laisse tomber, sereinement, une lourde sentence et tout se débrouille. Il ne reste plus qu’à débobiner la lumière.

Il a, — comme tous les sages, d’ailleurs, — un respect infini pour la richesse et pour les riches, sans exception. La richesse est, à ses yeux, un critérium de justice, de vertu, d’aristocratie, — peut-être aussi de virginité, car il parle souvent de virginité, sans qu’on sache pourquoi ce vocable lui est si cher.

Il prononce que le premier devoir du riche est « d’aimer le luxe », et que les crevants de misère, au lieu d’envier les gens qui s’amusent, les devraient bénir. « Que m’importe ? — écrivait-il, à propos d’un roman naturaliste racontant les angoisses d’un mal-