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Page:Bloy - Le Désespéré.djvu/336

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grandeurs conspuées, et seul contre tous ! Quel destin !

Ah ! s’il se fût simplement agi d’un combat physique, en pleine caverne, il se sentait une vaillance à les défier et à les massacrer tous. Au moins, il aurait la consolation de leur faire acheter sa peau terriblement cher ! Cette idée vaine le transportait. Il se fût présenté en chevalier errant, sans bannière et sans écu, devant ces hauts patentés de la ripaille et du brigandage. Il les eût affrontés au nom de la Vierge et des saints Anges, pour l’honneur de la Beauté qu’ils ont reniée et pour la vengeance du faible dont ils sont les massacreurs. Expirer sous la multitude des canailles, il le faudrait bien, mais il expirerait dans la pourpre d’un tapis de sang !

Au lieu de cette mort superbe, il fallait compter sur l’ignoble et interminable agonie moderne de l’artiste pauvre qui ne veut pas se déshonorer. La Misère, l’Aristocratie de l’esprit et l’Indépendance du cœur, — ces trois fées épouvantables qui l’avaient baisé dans son berceau, — avaient marqué, pour lui, la prédilection de leurs entrailles de bronze, par un luxe peu ordinaire de tous les dons de naissance qu’elles prodiguent à leurs favoris. Le pauvre Marchenoir était de ces hommes dont toute la politique est d’offrir leur vie, et que leur fringale d’absolu, dans une société sans héroïsme, condamne, d’avance, à être perpétuellement vaincus. Le courage le plus divin n’y peut rien faire. Le sublime Gauthier Sans-Avoir serait aujourd’hui prestement coffré, et c’était déjà fièrement beau que l’inséductible pamphlétaire n’eût pas été, jusqu’alors, incarcéré dans un cabanon.