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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/44

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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

du Non-Amour, — la race humaine et l’animalité tout entière ne, pousserait qu’un cri et tomberait morte.

La plus grande force de Satan, c’est l’Irrévocable. Le mot « fatalisme » inventé par l’orgueil soi-disant philosophique des hommes n’est qu’une traduction obscure de cet effrayant attribut du Prince des Méchants et de l’Empereur des Captifs. Dieu garde pour lui sa Providence, sa Justice, sa Miséricorde et, par-dessus tout, le Droit de grâce qui est comme le sceau où son omnipotente Souveraineté est empreinte. Il garde aussi l’irrévocable de la Joie et il laisse à Satan l’irrévocable du Désespoir. La terriflante porte pâle du grand poète américain est ouverte sur ces deux gouffres offerts à notre liberté.

Or, l’Irrévocable commence dès cette vie. Il se formule dans l’acte libre et s’accomplit dans la persévérance. La Grâce n’intervient que pour empêcher la liberté de glisser de notre âme et de se perdre dans l’effroyable angoisse de la Tentation. Mais l’Irrévocable subsiste dans les faits d’une manière si redoutable que les moindres velléités, les moindres pensées, les plus fugitives palpitations ont des suites infinies et retentissent à jamais. Ici, tout se magnifie. Le contingent ne franchit pas le seuil de ia vie morale et la vie morale de l’être libre, contenue dans les bornes inflexibles de la personnalité, ne va pas se perdre dans le contingent. Il faut absolument l’intégralité d’une proie à la joie ou au désespoir éternels.

Lorsque le Démon séduit et surmonte notre liberté, il en obtient des enfants terribles de notre race et de sa race, immortels comine leur père et leur mère. Cette progéniture enfante et pullule à son tour, indéfiniment,