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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/64

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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

des peuples sans nombre qu’il alla chercher lui-même, comme un très diligent Pasteur, dans le fond de cet Occident redoutable que l’ignorance de son siècle supposait ténébreux et barré par le monstreux fourmillement de l’Abîme.

Saint Patrice, l’apôtre de la verte Irlande, entendait dit-on, les cris des enfants dans le sein de leurs mères qui l’appelaient en Hibernie. Pendant les terribles dix-huit années de démarches qui précédèrent son premier voyage aux Indes, Christophe Colomb porta dans son âme l’énorme clameur d’une moitié du genre humain dont lui seul savait l’existence et qu’il voulait donner à Jésus-Christ. Pour étre plus profondément le père de ces infortunés, il prit le pauvre habit de Saint-François et le porta ostensiblement jusqu’à sa mort. Enfin, lorsqu’il eut épuisé tout ce que le Père des pères lui avait laissé de lie épaisse au fond de son calice d’agonie, lorsqu’il eut bien vu le trafic et le massacre de ceux qu’il avait tirés de ses entrailles, — sa destinée terrestre se trouvant soudainement accomplie, — cette incomparable Ressemblance de Dieu s’enfonça dans la mort sans faire plus de bruit qu’un atome qui croulerait du haut d’une ruine dans le désert.

Ne fallait-il pas l’immense pitié et l’immense misère humaine d’une telle mort pour que cette divine artiste qu’on nomme l’Église pût nous proposer, à quatre cents ans de distance — comme la saisissante image du Père des miséricordes — une physionomie de saint aussi majestueuse, aussi lalourée et dévastée par la souffrance, aussi ruisselante des crachats de la calomnie, sans épouvante ni scandale pour le féroce et stupide égoïsme de nos mœurs chrétiennes ?