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Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/85

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HISTORIQUE DE LA CAUSE

Il nous est recommandé par le Seigneur lui-même de respecter nos évêques qui sont les successeurs des Apôtres, mais, en même temps, le sage Livre nous fait un précepte de reprendre notre ami et notre prochain : Corripe amicum, corripe proximum. Qui donc nous est plus ami et plus proche que ceux-là qui sont chargés de nous paître et de nous instruire, et comment les dernières brebis du troupeau pourraient-elles être blâmées avec justice quand elles s’élancent au secours

    que vous avez le projet de découvrir un nouveau monde, et je vous dirai sans détour que je ne vous en félicite pas. Votre projet me remplit d’alarme. Il dénote, je ne crains pas de vous le dire, un orgueil inconcevable. Comment ! Ne trouvez-vous pas la terre assez graude ? Voyez les hommes des temps passés. Ont-ils jamais songé à découvrir un continent nouveau ? Et vous, vous jeune homme, sans expérience, sans autorité, vous avez nourri cette folle ambition. (Ce jeune homme sans expérience avait alors 57 ans.) Comment ! ni les conseils de tous vos vrais amis, ni les menaces de la destinée qui vous devient contraire, rien ne peut vous décider à vivre tranquillement en Europe, comme chacun de nous. Vous vous croyez donc bien au-dessus des autres hommes puisque ce qui leur suffit ne vous sufñt pas ? Tous les gens éclairés vous le diront, mon jeune ami, votre orgueil vous perdra.

    « Je suis d’autant plus chagriné de votre fâcheux entêtement que j’ai toujours eu pour vous une affection véritable. Tout enfant, vous me plaisiez. J’aimais la finesse et la promptitude de vos saillies. Jeune homme vous aviez une imagination qui me séduisait. Car j’aime l’imagination chez un jeune homme pourvu qu’il n’en ait pas trop. Vous me disiez quelquefois : J’aime l’Océan ! et je vous engageais, mon enfant, à faire sur l’Océan quelques vers latins, pour vous exercer. Pouvais-je me douter que vous alliez prendre au sérieux la poésie ? Si vous aviez, du reste, un goût si prononcé pour la navigation, je ne vous aurais pas dissuadé de faire de temps à autre quelques petits voyages : les voyages forment la jeunesse. Mais, mon jeune ami, permettez-moi de vous le demander : n’est-ce pas aller un peu loin que d’aller chercher un nouveau monde ?

    « Et pourquoi donc ne pas vous contenter de l’ancien, puisque nous, nous savons nous en contenter ? Pourquoi ne pas entrer tout simplement dans une de ces carrières libérales auxquelles votre éducation vous donne droit de prétendre ? Pourquoi cette folle et ridicule ambition ? Ah ! quand vous aurez mon âge !